CHAPITRE 2

LA MONARCHIE CAMBODGIENNE VUE DE FRANCE (1949-1954)

 

 

I. Les associations d’étudiants.

Une grande partie des dirigeants du Kampuchéa Démocratique ou des figures de proue du mouvement révolutionnaire cambodgien jusqu’en 1975 firent leurs études à Paris dans les années cinquante, et certains cadres dans les années soixante. Ils s’y familiarisèrent avec une culture laïque, et repartirent parfois avec un titre de docteur en poche. Est-ce pour autant la mode politique de l’époque ou l’enseignement du corps professoral qui marquèrent politiquement ces étudiants?

 Les futurs révolutionnaires commencèrent par partager leurs repas, leurs chambres, et par se réunir autour de lectures diverses, de discussions terminées à des heures tardives animées d’une ambition rénovatrice, ou autour de parties de billard ou de cartes déchaînant les fous rires. Les moments qu’ils partagèrent au fil des camps de vacances, des fêtes du Nouvel an cambodgien, des festivités internationales, des bals étudiants, des célébrations de mariages, des manifestations, des meetings, des cours de philosophie politique, des publications de bulletins, sont ceux d’une époque où l’exaltation et l’union dans la lutte n’avaient pas encore laissé la place aux déchirures d’une croisade politique qui balaya jusqu’aux amitiés d’antan.  

 A l’heure du bouillonnement intellectuel existentialiste et structuraliste du quartier latin, et du succès du jazz, les cafés branchés de Saint-Germain n’étaient guère leurs points de chute favoris – les communistes y voyaient la marque de la décadence culturelle bourgeoise, sous l’influence américaine. Ces boursiers du gouvernement cambodgien se retrouvaient souvent dans les cantines ou les foyers tenus par des associations indochinoises. Certains Cambodgiens ont pu d’abord bénéficier de l’accueil des « Amitiés Indochinoises », une association animée par quelques figures princières khmères, financée abondamment par le ministère de la France d’Outre-Mer, et un peu par la banque d’Indochine. Située au 51, rue de la Faisanderie dans le XVIe arrondissement, l’association offrait des repas bons marchés dans son « restaurant coopératif » et proposait des coopératives d’achat et un hébergement gratuit pour les plus démunis. Le 11 mars 1947, l’association s’inquiétait de ce qu’une partie de ses habitués était « détournée au profit d’un établissement concurrent: le restaurant "France-Vietnam" que l’association du même nom venait de fonder dans la rue Jean-de-Beauvais ». C’était « sous les apparences d’un commerce d’alimentation » proposant des prix attractifs grâce à d’abondants financements, un véritable centre de propagande politique ». Comme il était situé en plein quartier latin à proximité des lieux de cours, y aller constituait une double économie en temps et en argent [1]. La rue Jean-de-Beauvais était le lieu de réunions de l’Union des Vietnamiens. Vers 1950, une cantine située rue Monsieur-Le-Prince, entre le boulevard Saint-Michel et le carrefour de l’Odéon, accueillait également Cambodgiens et Vietnamiens. Elle dépendait des « Amitiés franco-chinoises », une association animée par des communistes français, qui célébraient, chaque 1er octobre, l’anniversaire de la révolution de Mao dans la salle de la Mutualité. Au début des années cinquante, les Indochinois du quartier latin ou même de la Cité Universitaire Internationale venaient également dans l’arrière-cour de la rue Gît le Coeur, à côté de la rue Saint-André-des-Arts, où se trouvait la cantine de l’Union des Vietnamiens de France (groupant les sympathisants du Nord-Vietnam), ou encore au foyer des Beaux-Arts, quai Malaquais, ainsi qu’au foyer de l’impasse Royer-Collard tenu par un Chinois. Au Foyer Gît-le Cœur, les Cambodgiens préparaient leur cuisine nationale en groupe. Parfois ils allaient près de la gare de Lyon avaler une soupe et un plat chinois dans un des « restos » tenus par d’anciens ouvriers chinois. A la fin des années cinquante, une autre cantine, tenue par des Vietnamiens, était située place Maubert, près de la rue de la Montagne Sainte-Geneviève, à deux pas de la rue Jean-de-Beauvais.

Dans les années cinquante, Ieng Sary, Thiounn Mumm, Thiounn Prasith, et Ok Sakun logeaient non loin du foyer Gît le Cœur au 28, rue Saint-André-des-Arts, dans l’hôtel pour étudiant dit « anglo-latin », géré par des Iraniens opposés au Chah d’Iran et partisans de Mossadegh. De nombreuses réunions politiques s’y déroulèrent. Toch Kham Doeun et Sien An y séjournèrent quelques temps. Ieng Sary habita aussi chez le cousin germain de son père, l’ancien juriste et conseiller culturel Truong Cang. Thiounn Mumm, le plus tôt politisé, logea par la suite au 11, rue Jean Mascré à Sceaux, puis au 28, rue Penthièvre à Sceaux dans une villa appartenant à ses beaux-parents. D’autres habitaient le XVe arrondissement : rue Letellier pour Saloth Sar / Pol Pot et rue du Commerce pour Keng Vannsak après avoir été hébergé à l’Ecole Normale Supérieure.

La plupart des boursiers cambodgiens logeaient à la Maison d’Indochine de la Cité Universitaire Internationale, au 59 boulevard Jourdan, puis, après 1957, à la Maison du Cambodge au 27 bis boulevard Jourdan. Il y préparaient leur « popote » à plusieurs dans un esprit d’entraide, en utilisant les produits alimentaires cédés à prix réduits par la Fondation Nationale de la Cité Universitaire. Parmi les quelques vingt-cinq Cambodgiens inscrits chaque année à la Maison d’Indochine de 1952 à 1956, on retrouve notamment Khieu Samphan, Hou Yuon et Son Sen – lequel avait d’abord logé au 31, rue Letellier. Parmi les pensionnaires de la Maison du Cambodge, figuraient Suong Sikœun, de 1957 à début 1970, Toch Kham Doeun, après 1955, et Ok Sakun, après 1963. Sauf cas particuliers, la durée maximum d’hébergement à la Cité était de trois ans. Les prolongations étaient rares mais possibles en cas de résultats scolaires brillants. Mais il arrivait que certains fussent hébergés illégalement par leurs amis. David Chandler indique par exemple que Saloth Sar logea pendant sa première année en France à la Cité Universitaire Internationale alors que les registres de la Cité n’en ont gardé nulle trace, et que d’anciens étudiants n’en font pas mention. Il logea rue Letellier, dans un appartement situé au-dessus d’un café en face de chez Keng Vannsak, qui logeait, lui, rue du Commerce et lui prêtait ses casseroles.

Les débats politiques ou anticolonialistes avaient d’abord lieu à la Maison d’Indochine, siège de l’Association des Etudiants Khmers (A.E.K.) créée en 1946, et présidée par Ea Sichau, professeur à Phnom Penh en 1945 et future grande figure démocrate. Le bulletin de l’A.E.K., Khemara Nisset (« L’Etudiant Khmer »), traitait peu de politique en 1949-1950 (articles sur le traité d’autonomie franco-cambodgien, le Commonwealth, l’organisation des Nations-Unies) parfois d’économie (agriculture soviétique, système fiscal américain, comptabilité) de science ou de médecine (mortalité infantile, maladies vénériennes, antibiotiques et pénicilline). La revue était agréablement écrite dans le but d’étendre les connaissances de ses lecteurs qui disposaient d’une bibliothèque au sein de l’association. L’A.E.K. organisait des discussions sur le caractère du Cambodgien, mais aussi sur la Politesse française, l’Ecole picturale impressionniste, l’Economie politique, la Musique occidentale. Les Cambodgiens étaient alors avant tout des nationalistes qui refusèrent, jusqu’en 1950, d’organiser la fête du Nouvel An cambodgien dans le cadre vietnamien que constituait la Maison d’Indochine [2] et rendaient hommage au chef démocrate Ieu Koeuss, assassiné le 15 janvier 1950 au siège du Parti Démocrate. Formé à l’Ecole supérieure de Commerce de Hanoi, ce dernier avait été vice-ministre de l’Agriculture dans le cabinet Son Ngoc Thanh, et unanimement élu Président de la Première Assemblée Nationale de 1947.

En novembre 1950 le Comité directeur de l’A.E.K. était composé du modéré Van Molyvann comme président, de Keng Vannsak comme vice-président, et de l’étudiant en droit Sin Khem Ko comme secrétaire général. 

C’est en 1950 qu’arrivèrent Ieng Sary, futur vice-ministre du Kampuchéa Démocratique chargé des Affaires étrangères, et peu après lui son camarade Rath Samoeun, tous deux déjà formés politiquement au Cambodge au sein du Parti Démocrate, de tendance radical-socialiste voire socialiste S.F.I.O. (Section Française de l’Internationale Ouvrière) et actifs dans la distribution des tracts électoraux et les manifestations contre la présence française. Ieng Sary aurait même conduit les manifestations  anticoloniales des élèves du lycée Sisowath à Phnom Penh, au cours desquelles les grévistes portaient des cravates rouges, apparemment par rejet de l’uniforme scolaire. Il aurait été arrêté trois ou quatre heures avec Rath Samoeun [3]. Le fondateur du Parti Démocrate et ancien membre de la S.F.I.O., le prince Sisowath Youtévong, chef de gouvernement en 1947, avait ramené plusieurs livres d’Occident dont Le Manifeste du Parti communiste qu’avait lu son protégé Ieng Sary avant d’arriver en France. Le frère de Youtévong, le prince Indravong, avait aussi étoffé sa bibliothèque de livres ramenés de France [4].

Afin d’éduquer la jeunesse cambodgienne loin de l’atmosphère de courtisanerie et de réaction de Phnom Penh, le Parti Démocrate envoyait en France « le plus grand nombre possible d’étudiants » [5], de jeunes espoirs du Parti ou d’étudiants particulièrement doués dans leur domaine, pour qu’ils occupent des métiers monopolisés jusqu’alors par la minorité vietnamienne. C’est peut-être pour cette dernière raison que Saloth Sar / Pol Pot, fut envoyé en France en 1949 parfaire sa formation de menuisier à l’Ecole Technique de Russey Keo [6],  à moins qu’il n’ait aussi bénéficié de ses relations avec le palais et le Parti Démocrate.

A l’automne 1951, les marxistes acquirent de l’ascendant au sein de l’A.E.K.. Bien que les Démocrates fussent majoritaires à l’A.E.K., ils étaient « moins agissants que les communistes » et « absents aux réunions et à l’Assemblée Générale » [7]. Hou Yuon était arrivé en France en 1949 ou 1950. D’abord plus effacé que ses camarades marxistes, qui critiquaient souvent ses origines sociales (Debré), ou l’importance qu’il attachait à ses études ainsi que son comportement de flambeur et son manque de militantisme (selon Keng Vannsak, qui avait délaissé le militantisme avant de partir en octobre 1952), Hou Yuon devint, de 1952 à 1954, un président de l’A.E.K. « très direct et sincèrement très à gauche » (Mey Mann) [8]. Thiounn Mumm et Mey Mann étaient membres du comité directeur, et Keng Vannsak l’un des principaux animateurs. D’après ce dernier, Saloth Sar n’eut aucun rôle au sein de l’Association. En 1951, l’A.E.K. défendait dans son programme partiellement politique « la lutte sous toutes les formes pour l’indépendance nationale, c’est-à-dire politique et armée » alors que « Son Ngoc Thanh, Ea Sichau etc. » étaient d’après Thiounn Mumm, qui les avaient rencontré, « à cette époque, contre la lutte armée » [9]. Mais elle dénonçait aussi dans un document de décembre 1952 la politique du Gouvernement Royal qui était de barrer le chemin « au socialisme en voie de réalisation dans presque tous les pays du monde », et de plonger de nouveau le pays dans « une société féodale avec des classes sociales différentes, des seigneurs et des esclaves » tandis que les colons français voulaient faire du Cambodge « une base de départ d’une agression éventuelle contre les pays pacifiques tels que la Chine populaire et l’U.R.S.S. » [10] (cf. document 11). Le 26 octobre 1952, l’A.E.K. devait décider de son affiliation à l’Union Internationale des Etudiants (U.I.E.), d’obédience communiste, mais une certaine opposition s’était encore manifestée au projet du comité directeur [11].

L’un des principaux responsables de la rédaction des bulletins était Keng Vannsak. Etudiant en philosophie arrivé en 1946 et reparti le 22 octobre 1952, avec sa femme française, il fit par la suite partie des démocrates les plus à gauche. Au début de son séjour en France, Vannsak logea quelque temps à l’Ecole Normale Supérieure, où les influences personnalistes et communistes étaient fortes. Etant apparenté aux sphères royales - sa mère avait été concubine du frère du roi Monivong- il acquit une réputation d’extrémiste. Sa « tante », la princesse et vice-présidente de l’Assemblée de l’Union Française Ping Peang Yukhantor, le pressait de donner plus de nouvelles de lui. Comme il réprouvait les mentalités de sa famille de « fossoyeurs » du Cambodge et qu’il avait pris position pour les exploités, il lui aurait répondu dans une lettre: « Ne me considérez plus comme un membre de votre famille, car je ne suis qu’un simple prolétaire ». Cette déclaration fut immédiatement mise sur le compte de la folie, folie évidemment due à ses études de philosophie, au même titre que pour le frère de la princesse Yukhantor, Reno Yukhantor, auteur du Roi d’Angkor, lequel l’avait simulée [12].

L’autre responsable des bulletins de l’A.E.K. était Thiounn Mumm, le premier Cambodgien sorti de Polytechnique, arrivé en France en 1946 et reparti de Marseille le 25 août 1954. Issu d’une des plus grandes familles aristocratiques cambodgiennes (son grand-père avait été ministre du Palais et son père secrétaire général du Conseil des Ministres), sa culture politique étendue l’amena à être un des mentors des membres de l’A.E.K. Celui qui démarchait le plus auprès des étudiants, en tant que représentant de Keng Vannsak, était toutefois Ieng Sary, avec un sens du contact assez développé, malgré son accent cochinchinois prononcé. Ieng Sary connaissait mieux le vietnamien que le khmer car il avait passé son enfance au Sud-Vietnam, dans la communauté Khmère Krom.

Pour certains, la rencontre qu’ils firent avec Son Ngoc Thanh fut un tournant politique. Le chef du Parti Démocrate, trahi par Sihanouk et ses proches après le retour des Français [13], était retenu en résidence surveillée à Poitiers depuis 1945 où il put passer une licence de droit avant son retour en octobre 1951. A la fin de décembre 1950, Saloth Sar serait venu le voir, mais, ne l’ayant pas apprécié et trouvant ses partisans sectaires, serait devenu membre du « Cercle Marxiste-léniniste » (non du Cercle après 1957) [14]. Cette visite put avoir lieu un peu plus tard, car, d’après certains, Sar resta thaniste un ou deux ans après son arrivée, et le Cercle ne fut formé qu’en automne 1951 [15]. Thiounn Mumm lui-même date de septembre 1951 la visite qu’il rendit avec Ieng Sary, après leur retour de Berlin, à Thanh, au cours de laquelle ce dernier refusa d’entreprendre la lutte armée à leur demande. Thiounn Mumm avait aussi remarqué que dans la bibliothèque de Thanh, les pages des éditions françaises de Marx et de Lénine n’avaient pas été coupées [16]. Les étudiants prirent sans doute alors conscience de leur originalité, et si, selon Thiounn Mumm, lorsque Son Ngoc Thanh et Ea Sichau prirent les armes en mars 1952, « Hou Yuon et son groupe les sout[enaient] ouvertement dans des meetings » [17] aux côtés des démocrates, ce n’était là que parce qu’ils voulaient que les démocrates combattent aux côtés des communistes [18].

Après 1953, l’A.E.K., éprise du discours ouvriériste de circonstance donnant à la classe ouvrière un futur rôle dirigeant, ne voyait pas d’inconvénient à illustrer la couverture de son bulletin d’un couple de Cambodgiens vêtu de salopettes (au lieu du sarong traditionnel) [19]. Il faut dire que le P.C.F., à l’inverse du P.C. italien, était habité de réflexes anti-intellectuels et anti-classe moyennes dont il ne se départira que dans les années quatre-vingt [20].

Les résidents de la Maison d’Indochine se réunissaient en Assemblée Générale notamment pour élire le comité de la Maison d’Indochine qui comprenait un Cambodgien, un Vietnamien, un Laotien et un Français, ce qui donnait lieu à des accrochages avec l’administration qui refusait d’admettre des élections officieuses organisées par les Vietnamiens, les Cambodgiens, les Laotiens et les Français entre eux sans intervention extérieure. Lors de ces élections, de vifs désaccords apparaissaient entre Cambodgiens nationalistes et communistes. De 1950 à 1956, pourtant, le directeur de la Maison d’Indochine, Mr Masson, n’avait relevé que peu d’événements notables dans ses rapports moraux. Il omettait de parler d’un coup d’éclat qui l’avait rendu furieux en 1952 — des étudiants avaient peint A bas la guerre du Vietnam sur les murs — et n’évoquait que la diffusion, en mai 1953, de tracts demandant son exclusion et le renvoi de trois étudiants hors de l’Université de Paris, ainsi que la descente de police du 20 janvier 1953:

« Certains étudiants de la Maison (ceux-là mêmes qui ont troublé les élections du comité) se sont laissés entraîner à des activités politiques interdites par les règlements de la Cité. Leurs imprudences, à l’extérieur, ont attiré l’attention de la Direction de la Surveillance du Territoire et provoqué une perquisition de police le 20 janvier. Muni d’une commission rogatoire visant des infractions aux décrets des 21 avril et 24 juin 1939 (introduction en France de brochures de propagande visées à l’étranger), le commissaire de police PETIT perquisitionna dans les chambres de deux étudiants vietnamiens (...) et de deux étudiants cambodgiens, MM. MEY MANN et SANH OEURN. Ces deux derniers furent conduits rue des Saussaies et relâchés en fin d’après-midi, l’interrogatoire ayant porté, selon leurs propres déclarations, sur un voyage fait en Roumanie par l’un d’eux pendant les vacances de 1952 et sur les activités politiques de l’Association des Etudiants Khmers. Quant aux étudiants vietnamiens, ils prirent la fuite dès l’arrivée de la police » [21]. 

Le journal du P.C. français, l’Humanité, faisait état de la perquisition le 21 janvier 1953 en se méprenant sur le nom d’un des Cambodgiens : « Mey Man et Fen Ouen » — ce dernier nom n’a d’ailleurs guère de consonance cambodgienne. Sanh Oeurn et Mey Mann étudiaient à l’Ecole Préparatoire des Travaux Publics de Cachan. Mey Mann, déjà âgé de trente ans, était, avec Rath Samoeun et Hou Yuon un des militants cambodgiens les plus sérieux de la Maison d’Indochine. Plusieurs témoins nous ont rapporté que les agents de la D.S.T. avaient emmené d’autres étudiants dont Phung Ton et Hou Yuon, lequel était aussi revenu de Bucarest. Les Cambodgiens furent les premiers emmenés à cette heure matinale (6 heures), et Hou Yuon put donner l’alerte à des camarades vietnamiens. Les agents de la DST ne trouvèrent apparemment que des bulletins de l’A.E.K. [22]. Un autre étudiant domicilié au quartier latin, également parti à Bucarest où l’A.E.K. devait apparemment être affiliée à l’U.I.E. (basée à Prague), avait été emmené avec Ea Sichau pour une nuit d’interrogatoire devant des hommes armés, et ce à la veille d’un examen. Un autre étudiant fut menacé d’être envoyé en Afrique du Nord.

Signalons que plus tard, le Parti Communiste Khmer élimina Rath Samoeun vers 1972 et écarta complètement Hou Yuon en avril-mai 1975. Mey Mann, militant du Parti à Phnom Penh dut travailler dans une coopérative sous le K.D., et Sanh Oeurn mourut pendant la guerre de 1970-1975, ou, selon Mey Mann fut déporté de Phnom Penh en 1975.    

Certains membres de l’A.E.K., tel Mey Mann, distribuaient des tracts et vendaient l’Humanité. Ils faisaient peu de cas de l’enseignement bouddhique reçu. Les étudiants cambodgiens des autres tendances n’étaient eux-mêmes presque jamais bouddhistes pratiquants, ni convaincus, mais vénéraient tout de même l’enseignement de Bouddha par respect pour la tradition. La politique était la préoccupation principale de bon nombre d’étudiants. Les plus à gauches considéraient alors comme leurs ennemis les étudiants In Kontel ou Van Molyvann.  Un membre de l’aile gauche de l’A.E.K. comme Phung Ton avait peu d’égards pour les chefs démocrates, dans sa thèse de 1954 :

« Les deux chefs de la dissidence, Son Ngoc Thanh et Ea-Sichau se sont vu attribuer l’étiquette "rouge" par le roi Norodom Sihanouk alors que, notoirement, ces deux personnages ne sont que des nationalistes, même des ultra-nationalistes si l’on prend en considération leur comportement quelque peu sectaire vis-à-vis des autres mouvements politiques de l’Indochine. De l’aveu même du monarque, Son Ngoc Thanh aurait voulu instaurer une république dont on ne pouvait dire au juste si elle serait du modèle occidental ou oriental » [23].

 Ea Sichau, futur ministre des Affaires étrangères du « gouvernement d’opposition » de Son Ngoc Thanh en 1954, avait fait des études à H.E.C. (la plus prestigieuse école de commerce et d’économie en France). Anti-sihanoukiste de premier plan par républicanisme, il rendait souvent visite à Son Ngoc Thanh tenu en résidence surveillée à Poitiers. Sichau et d’autres membres démocrates de l’A.E.K. avaient été invités par Sihanouk à s’attabler avec lui au grand hôtel Crillon. L’un des étudiants, éméché par les libations offertes, exprima tout haut ce que tout le monde pensait tout bas de Sihanouk, en qualifiant sa vie de dandy d’inconvenante ou d’indigne d’un Roi. Ses camarades le calmèrent, craignant pour leurs bourses. Mais la question de savoir si Sihanouk resterait président d’honneur de l’association fut alors sérieusement discutée.

Un rapport de la Direction des Renseignements Généraux daté de 1964 donne peut-être trop d’importance à l’agitation politique des années cinquante en groupant nationalistes et marxistes cambodgiens qui « bien que relativement peu nombreux » :

« Ont eu de 1949 à 1954 une activité politique particulièrement violente, sous l’impulsion d’une vingtaine de meneurs nationalistes ou communistes, admirateurs du leader vietnamien Hô Chi Minh et du chef rebelle cambodgien Son Ngoc Thanh. La plupart d’entre eux ont manifesté pendant cette période des sentiments farouchement francophobes et hostiles au Roi du Cambodge.

Leurs organisations, " l’Association des Etudiants Khmers ", qui s’était placée en novembre 1952 à la tête des groupements anticolonialistes de Paris, et la " Fraternité Khmère " ont dû être dissoutes respectivement le 9 février 1953 et le 12 avril 1954 » [24].

 Il est probable que ces associations aient pu donner plus de voix contre les mouvements d’humeur du Roi ou en faveur de positions indépendantistes que les associations vietnamiennes, plus surveillées en raison de leur obédience politique clairement affichée, et parce que le Cambodge n’était pas engagé dans une guerre contre la France. D’après un ancien militant d’origine vietnamienne, les Cambodgiens étaient moins divisés que les Vietnamiens. Selon Thiounn Mumm, 90 % des étudiants de Paris étaient alors des patriotes et protestaient contre les dissolutions à répétition de l’Assemblée Nationale, contre la création des Casinos par le Roi, et contre le traité franco-khmer du 8 novembre 1949 [25]. Comme les autres étudiants coloniaux, indochinois ou africains, les Cambodgiens ne supportaient guère de voir notée la mention « sujet français » sur leurs pièces d’identité [26].

L’association Fraternité Khmère avait été fondée en 1945 par le prince démocrate Sisowath Youtévong (chargé de mission au ministère des Colonies d’où provient la subvention à l’association), avec Chhean Vam (philosophe, beau-frère des frères Thiounn, secrétaire général du Parti Démocrate en 1946, chef de gouvernement en 1948), Thonn Ouk (historien, devenu représentant du Cambodge à l’Assemblée de l’Union Française vers 1954), et Nginn Karet (géographe). La politique n’était apparemment pas leur préoccupation d’origine, même si Youtévong était membre de la S.F.I.O. (le parti socialiste français). L’association visait, d’après ses statuts, à aider les soldats cambodgiens engagés dans les troupes françaises pendant la Deuxième Guerre Mondiale, en leur donnant des cours de français, de travaux manuels ou en leur offrant des activités culturelles. Les quatre membres fondateurs de l’association discutaient également politique, et furent à l’origine de la création du Parti Démocrate en 1946 (le parti réformiste qui instaura la constitution du 6 mai 1947), à leur retour au Cambodge [27]. L’association fut ensuite prise en charge par des étudiants qui grandiront les rangs du Parti Démocrate mais ne semble pas avoir duré [28]. Les républicains se réunirent en mars 1955 au sein de l’Association Khmère, dont les animateurs (Chau Xeng Ua, président, Sum Vadhanayu, anticommuniste alors « tête de turc » de Ieng Sary, Kosal Roger, Srey Pong, Samair Phaloun, Dy Balen et Sarim Hum) se proposaient entre autres de lutter contre la propagande du groupe pro-communiste. De leur côté, les communistes n’avaient sans doute aucuns égards pour les socialistes. Comme le titrait un article de l’Humanité du 27 mars 1951, la gauche non communiste était une « maladie sénile du capitalisme ».

Pour ce qui est de l’A.E.K., le roi Sihanouk n’aura pas apprécié ses critiques à l’encontre de l’Association qu’il soutenait, l’Amicale des Cambodgiens de France, de tendance royaliste modérée, ni les liens établis par l’A.E.K. avec l’Union Internationale des Etudiants située à Prague, bien qu’il n’était pas nécessaire d’être communiste pour participer à ses activités qui pouvaient mobiliser L’Union Nationale des Etudiants de France, socialiste. Ce qui mit surtout le feu aux poudres fut les diverses manifestations d’étudiants qui s’opposèrent au renvoi du gouvernement par le Roi en juin 1952, puis à la dissolution de l’assemblée en janvier 1953, ainsi que le soutien que l’A.E.K. manifestait aux étudiants du Cambodge contre le coup d’Etat "légal" du 15 Juin 1952 (voir les documents 2 et 11, en annexe, textes de Saloth Sar et de l’A.E.K. fustigeant l’absolutisme du Roi et sa soumission de « fantoche » aux « Eminences grises » de la France écrasant les patriotes). Pour les étudiants d’alors, il ne fait aucun doute que c’est Sihanouk qui demanda la dissolution de leur Association. Phung Ton écrit que suite aux « protestations des étudiants cambodgiens en France », « le monarque a répondu en supprimant la bourse à une vingtaine d’entre eux et en agissant auprès des autorités françaises pour dissoudre leur association » [29]. Chau Xeng Ua estime aussi que la dissolution de l’A.E.K. fut la conséquence directe de la protestation des étudiants de l’A.E.K. contre ce qu’ils estimaient être un « coup d’Etat légal » du roi. Et pourtant, l’initiative provient des autorités françaises qui voulaient mettre un terme à l’agitation à laquelle elle se livrait. Elles avaient souhaité en mai 1952 que l’A.E.K. relève du statut d’association étrangère, qui introduisait une réglementation plus stricte et permettait, par un simple arrêté d’interdiction émanant du ministère de l’Intérieur, de « contrecarrer les menées subversives de groupements marxistes agissant sur le territoire en liaison ou sous les ordres du vietminh ». Une lettre du 22 novembre 1952 adressée par l’Inspecteur général chargé des Relations avec les Etats Associés au Ministère de l’Intérieur, expliquait qu’il serait préférable de consulter le Gouvernement de Sihanouk avant de prendre des décisions contre l’A.E.K. et l’Amicale des Cambodgiens de France (!). Le 23 janvier 1953, le ministre des relations avec les Etats Associés confirmait que l’A.E.K. serait interdite avec le « plein accord » du Gouvernement royal du Cambodge en raison de son « attitude politique à l’égard du Gouvernement comme de son activité sur le territoire métropolitain », activité qualifiée d’« anti-française » par le ministère des relations avec les Etats Associés et le ministère de l’Intérieur. L’arrêté du 9 février 1953 demandait aux dirigeants de l’A.E.K. de procéder à la liquidation des biens dans un délai d’un mois. Ceux-ci demandèrent l’annulation de l’arrêté au Conseil d’Etat, arguant du fait qu’ils ne pouvaient être considérés comme des étrangers en tant que membres de l’Union Française, et qu’ils pouvaient jouir à ce titre de la liberté d’association accordée par l’article 81 de la Constitution (qui autorisait aussi les ressortissants de l’Union Française à accéder aux fonctions publiques de la République française). Le préfet de police, visiblement peu informé, demandait le 6 mars 1953 de reconsidérer la situation de l’A.E.K., parce que les éléments pro-communistes avaient été exclus lors du renouvellement du bureau le 1er janvier 1951, et que Sihanouk en était le président d’honneur. La même préfecture considérait en décembre 1956 que Ieng Sary n’avait pas attiré l’attention du point de vue politique, depuis son séjour à Berlin-Est en août 1951, bien que ses sympathies fussent acquises aux théories d’extrême-gauche [30]. Gain de cause fut obtenu tardivement par l’annulation du traité le 13 mai 1958.

La plupart des étudiants de gauche étaient venus entre la fin des années quarante et le début des années cinquante, et pour les deux tiers en 1950, assortis d’une bourse d’études de l’Office des Etudiants Cambodgiens dépendant du Ministère de l’Education cambodgien. Parmi ceux arrivés en 1946-1947 figuraient Ea Sichau (HEC), Mau Say (Faculté de Lettres), Keng Vannsak (Faculté de Lettres et Philosophie), Touch Kim (Ecole de Chimie appliquée), Thiounn Mumm, Thiounn Chum et Thiounn Thioeun [31]. Ensuite vinrent : Chau Seng, Hou Yuon, In Sokan, Ieng Sary, Mey Mann, Mey Phat, Nghet Chhopininto, Ok Sakun, Phung Ton, Sam Sary, Saloth Sar, Son Sen, Sok Knol, Thiounn Prasith, Uch Ven, Van Molyvann, Yem Sarong, Yun Soeurn [32]. Les quarante boursiers choisis chaque année au lycée Sisowath s’engageaient à devenir professeurs à leur retour [33] pour développer le système scolaire embryonnaire. Il est vrai que le Cambodge avait un retard à rattraper. En décembre 1952, l’A.E.K. indiquait que la « mauvaise organisation de base de l’enseignement au Cambodge » avait été « instituée par les colonialistes et entretenue par le Gouvernement Royal dans le but d’asservir la Jeunesse et le Peuple » et de mener une « politique d’obscurantisme » (cf. document 11). Pour les étudiants de l’A.E.K., dont Saloth Sar, le montant de la bourse était de 28 000 F par mois sans aides supplémentaires (hormis les cas de maladie), ce qui équivalait aux subventions reçues selon d’autres formules par les vietnamiens et les laotiens. Les boursiers Français recevaient à l’époque 17 000 F, à quoi s’ajoutaient d’autres allocations et avantage. Son Sen, qui étudiait à l’Ecole Normale de Melun en Seine et Marne, disposait d’une bourse de 15 500 F à la charge de l’O.E.C. Tous ces étudiants boursiers devaient donc vivre avec frugalité. A l’époque le minimum vital calculé par le Conseil Supérieur de la Fonction Publique était de 31 000F. L’A.E.K. faisait remarquer des cas de sous-alimentation pour l’année scolaire 1951-1952 [34]. En octobre 1952, seize étudiants virent leur bourse retirée ou, pour trois autres, réduite de moitié par l’O.E.C, en raison de leurs résultats insuffisants ou de leur rôle de meneur de l’agitation anti-monarchique. Cette lutte était commune aux communistes et aux nationalistes, et des démocrates, qualifiés par le gouvernement de Phnom Penh de « progressistes », se retrouvèrent aussi sans le sou. Les étudiants de gauche privés de bourse pour raison politiques étaient Ieng Sary, Son Sen, Chi Kim An, Thiounn Mumm et Hou Yuon [35]. Ce dernier put néanmoins achever son doctorat car la suppression des bourses avait été levée [36]. Son Sen aurait été puni pour avoir patronné un rassemblement d’étudiants khmers gauchistes en 1955 [37]. Saloth Sar ne perdit sa bourse que pour des raisons pédagogiques - il reconnaissait plus tard qu’après un an d’efforts, il n’était plus très assidu car il « consacrait le plus clair de son temps aux activités de lutte » [38]. Ieng Sary, lui, put subvenir à ses besoins grâce à la bourse de sa compagne, en échange de quoi il lui préparait la popote le soir. En juillet 1953, une deuxième vague de suppression de bourses survint une semaine après qu’une délégation d’étudiants ait protesté à l’ambassade contre le nouveau mode de versement des bourses de vacances d’été, en deux fois, au lieu du précédent versement unique pour deux mois qui permettait de partir plus longtemps en vacances. Furent notamment visés Mey Mann, In Sokan (président du Comité du FUNK à Paris de 1970 à 1975) et Nghet Chhopininto (président du Comité des Patriotes du K.D. en France et directeur de publication de Kampuchéa de novembre 1976 à 1979) [39]. Un seul mot déplacé à l’égard de la politique de Sihanouk suffisait d’ailleurs pour que les bourses soient supprimées. Le 10 septembre 1953, une dizaine d’étudiants dont Thiounn Mumm, Nghet Chhopininto, et Chau Xeng Ua, s’étaient rendus au Haut Commissariat au Cambodge, 21, rue Franklin, pour protester contre la suppression des bourses par le gouvernement cambodgien.

Ceux dont les subsides s’étaient envolées et que le partage des bourses restantes entre militants ne suffisait pas à entretenir, vécurent d’expédients, comme plongeurs ou serveurs dans des restaurants, ou, selon un étudiant interrogé en juillet 1954 par la radio « La voix du Khmer Issarak » [40] comme « manœuvres dans des sociétés de commerce » . L’étudiant ajoutait que les sanctionnés avaient été obligés de se présenter une fois tous les trois mois à la Sûreté. La solidarité traversait les frontières. Keng Vannsak, obligé de revenir au pays en octobre 1952 avant d’avoir achevé sa thèse sur Le moi et le bouddhisme, organisait immédiatement une collecte parmi les démocrates (tel Cheng Sân, producteur de sel) à destination des anciens boursiers via le service des échanges et sa femme française. Khieu Ponnary aussi envoyait de l’argent à sa sœur. Saloth Sar / Pol Pot n’a donc pas dû travailler longtemps, puisque les premières bourses supprimées le furent au mois d’août ou octobre 1952 et qu’il partit le 15 décembre 1952.

Les membres de l’A.E.K. étaient les plus actifs et les mieux organisés. C’étaient Khieu Samphan, Thiounn Mumm [41], ou Ieng Sary qui allaient à la rencontre des étudiants fraîchement arrivés, d’anciens amis parfois, pour leur trouver un logement, d’autant que les élèves du lycée Sisowath, dont le proviseur était le démocrate et ancien chef de gouvernement Chhean Vam, beau-frère de Thiounn Mumm, étaient sans doute dirigés d’abord vers lui [42]. Kim Vien, étudiant en médecine et futur cardiologue, se souvient que la première fois qu’il retrouva Khieu Samphan, le futur président du présidium de l’Etat du Kampuchéa Démocratique, à Paris, vers 1954, ils se mirent à parler politique toute la nuit. Khieu Samphan lui demandait ce qu’il pensait de la situation du pays, faisait le procès des Américains et de la féodalité, sans nommer Sihanouk, parlait de la nécessité de changer la société, de lutter contre les inégalités. Sans doute Kim Vien n’était-il pas le seul que l’on tenta ainsi d’initier à la politique [43].

A l’extérieur de la Maison d’Indochine, les étudiants de gauche participaient aux manifestations de la journée des étudiants anti-coloniaux, le 21 février de chaque année, qui commémorait le soulèvement de marins Indiens, à l’initiative conjointe de l’Union Internationale des Etudiants (U.I.E.) et de la Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique (F.M.J.D.) qui siégeaient à Prague et à Budapest. Ces manifestations n’étaient pas sans entraîner des heurts avec des contre-manifestants. Il était également organisé des meetings anticolonialistes, notamment au 44, rue de Rennes, ponctués de discours du n°2 du P.C.F. Jacques Duclos, et de conférences de Philippe Devillers, auteur en 1952 d’une Histoire du Vietnam. Un Cambodgien se souvient avoir été à un meeting pour l’Algérie indépendante à la salle de la Mutualité.   Un autre d’avoir été poursuivi, à la sortie d’un meeting contre la sale guerre d’Indochine » à la « Mutu », par des anciens du Corps expéditionnaire dans les tunnels du métro de la station Mutualité à la station Odéon !

Les membres de l’A.E.K. étaient représentés à l’U.N.E.F. (socialiste), et à l’Union Internationale des Etudiants à Prague. En 1954, Khieu Thirith, future femme de Ieng Sary, fut envoyée comme représentante des étudiants cambodgiens au Congrès de l’Union Internationale des Etudiants à Moscou [44]. Mey Mann se souvient que l’A.E.K. était en contact avec le « comité de liaison des associations d’étudiants anticolonialistes » (c’est-à-dire le Comité de Liaison de l’Union Internationale des Etudiants), qui publiait irrégulièrement Etudiants Anticolonialistes. Ce journal était conduit par Amokrane Oulda Aouldia et le comité l’était par Jacques Vergès, qui le représentait à Prague au congrès de l’U.I.E. Jacques Vergès entretenait des relations quelque peu tendues avec l’appareil du P.C.F. et les autres membres du comité de liaison, en raison de son côté provocateur. Selon ses propres dires, il prônait une union large au sein du comité afin de regrouper les étudiants coloniaux de plusieurs tendances. Il n’est pas impossible que son radicalisme politique teinté de vitalité nietszchéenne ait pu quelque peu influencer ses camarades cambodgiens Pol Pot, Ieng Sary, et Khieu Samphan, qui vivaient le mouvement anticolonialiste et gravitaient autour du comité de liaison comme bien d’autres étudiants de multiples nationalités [45]. Lorsque des étudiants furent arrêtés par la DST, ce fut son frère Paul Vergès, déjà avocat, qui fut contacté par Ieng Sary [46]. Paul Vergès, également engagé dans le mouvement anticolonialiste, avait publié en février 1952 dans La Nouvelle Critique, revue du marxisme militant, l’article « La social-démocratie au secours du colonialisme » contre le vote des crédits de la sale guerre par la SFIO, et contre le « cosmopolitisme » des sociaux démocrates qui les portait à « trahir les intérêts nationaux de leurs peuples ». Staline aussi fustigeait tous les « social-chauvins » et « social-pacifistes » de la IIe Internationale qui avaient proclamé au congrès de Bâle leur volonté de conduire l’insurrection en cas de déclaration de guerre, mais avaient appelé les ouvriers à s’exterminer les uns les autres pendant la Première Guerre Mondiale [47].

Après 1955 le gouvernement royal cambodgien préféra envoyer ses étudiants dans des universités américaines, australiennes ou canadiennes, afin de les soustraire à l’influence marxiste régnant dans les milieux étudiants français. En 1961, la décision fut prise de ne plus payer d’études aux Cambodgiens désirant poursuivre leur formation en France [48]. Dans les années suivantes, les Cambodgiens furent à nouveau de plus en plus nombreux à venir s’instruire dans les Universités françaises, mais pas comme « boursiers d’éloignement », lesquels étaient, pour leurs opinions politiques subversives, envoyés de préférence en U.R.S.S. et à l’Est où la vie était bien plus dure.

II. Premiers coups d’épingles.

Pour Phung Ton (comme pour Pol Pot), « La crise cambodgienne revêt, dans son aspect interne, le caractère d’un conflit latent entre la monarchie et le peuple, conflit résultant d’un malaise qui couve depuis de longue date » [49].

Evoquant la monarchie absolue et la démocratie il était convaincu que c’était « la défaite de l’une qui assur[ait] l’existence de l’autre » [50], comme le montrait l’expérience française : « La démocratie libérale en France est le fruit de la victoire du peuple français sur la monarchie absolue ». Sa thèse concluait donc à la précarité du régime de Sihanouk:

 «La guerre que le monarque a déclenchée contre le communisme et ceux qui n’approuvent pas sa politique, la mobilisation des "forces vives" sur lesquelles il s’appuie, les serments et les "engagements de fidélité" qu’il a exigés des fonctionnaires et des élèves des principaux établissements scolaires du pays, suffisent-ils pour préserver son régime contre les troubles sociaux et les perturbations dues à la montée des masses populaires? » [51].

Phung Ton observait l’histoire internationale précipiter sa marche :

« Farouk, alors souverain d’Egypte en vacances à Deauville, a prononcé cette phrase prophétique en saisissant les Rois d’un jeu de cartes: " Encore quelques années et il n’y aura plus que cinq rois dans le monde: ceux de ce jeu et celui d’Angleterre " . Les événements ne lui ont pas donné tort: il a perdu son trône » [52].

François Debré, qui avait interrogé Keng Vannsak, évoquait une lettre adressée à Sihanouk en 1952 par sept étudiants réunis rue du Commerce dans le XVe arrondissement, dont la rédaction était attribuée à Ieng Sary, Saloth Sar, Rath Samoeun, Hou Yuon, Khieu Thirit, Thiounn Mumm et Sien An [53]. Keng Vannsak, rédacteur en chef du bulletin de l’A.E.K., nous indiqua qu’il rédigea l’essentiel de la lettre avant qu’elle ne fut approuvée par l’A.E.K. et envoyée en son nom. Elle était accompagnée du dernier bulletin de l’Association, conçu comme une lettre ouverte faisant le procès de la monarchie. « On jugera Sihanouk sur la place publique », osait-elle dire [54]. Au Cambodge, les chefs du ministère de l’Intérieur s’alarmaient en octobre 1952 de ce que le n°14 d’août 1952 était envoyé en cambodgien aux élèves et fonctionnaires des diverses provinces du royaume, et de ce qu’en janvier 1953 les numéros 13 et 14 de l’A.E.K., envoyés de France à toutes les Inspections primaires du Royaume, tardaient à être centralisées à l’Instruction Publique et aux Inspections de l’Enseignement malgré les recommandations. Seuls deux inspecteurs les avaient envoyés [55]. Dans la première lettre, Sihanouk était accusé, d’après François Debré qui avait interrogé Keng Vannsak, d’ « étrangler la démocratie » avec l’aide des colonialistes français, en luttant contre les partis traditionnels (entendre le Parti Démocrate et les Khmers Issaraks, plus ou moins affiliés au Vietminh). Le but avait été de créer un scandale [56].

Sihanouk, en colère, envoya Penn Nouth à Paris pour donner un avertissement aux étudiants et leur intimer l’ordre de retirer leurs propos provocants. Mais la discussion était impossible. Nouth, reçu par Hou Yuon fut appelé Monsieur et non Son excellence, et se serait fait traiter de traître [57]. Les autorités s’aperçurent qu’elles avaient fort à faire avec ces étudiants. Dans une lettre à Lon Nol du 17 juin 1952, Keo Kimsan membre du parti Rénovation Khmère lui avait suggéré de changer la politique pro-communiste défendue par les étudiants de Paris en leur donnant simplement « un peu plus d’argent »...

Mesure bien vaine devant des étudiants qui semblaient avoir conscience d’appartenir à une avant-garde, « détachement organisé de la classe ouvrière » (Staline, Des Principes du léninisme). « Nous sommes les seuls représentants authentiques du peuple cambodgien », auraient-ils lancé dans ladite lettre écrivait Debré [58]. D’après Mey Mann il se peut en effet que les étudiants du Cercle aient pu se considérer comme des vrais révolutionnaires car il y avait alors trop de faux mouvements Issaraks, dont une bonne partie de vrais contrebandiers [59].

Sihanouk faisait, lui, mention d’une autre lettre de 1952, à l’ambition semblable, qu’il attribuait à Hou Yuon, lequel lui aurait signifié qu’il avait perdu toute légitimité pour rester au pouvoir. Il lui aurait écrit : « Vous avez osé briser le peuple dans ses représentants, vous n’êtes plus notre Roi » [60]. Jean Lacouture rapportait la réaction de Sihanouk à la lettre de Hou Yuon, pour qui le prince éprouva ensuite une vive sympathie : « Imaginez, me raconta-t-il un jour, qu’en 1952, alors que j’avais dissous une assemblée indocile, ce jeune homme m’écrivit pour dénoncer ce geste et me signifier que j’avais cessé de fait d’être son souverain légitime. Me déposer par correspondance, quelle crânerie! » [61]. Dans ses éditoriaux fustigeant les Khmers Vietminh, Sihanouk devait revenir plusieurs fois sur cette motion envoyée par des étudiants pour le « détrôner » (« sic ») [62].

Les communistes de l’A.E.K. avaient aussi rédigé de 1952 à 1959 quatre-vingt numéros d’un bulletin non officiel intitulé Reaksmei [63] (prononciation du mot orthographié Rosmei qui signifie la Lumière, ou le Rayon de lumière). Le journal, imprimé à la ronéo et envoyé au Cambodge avant la suppression des bourses, défendait l’indépendance avant qu’elle ne soit obtenue, puis stigmatisait la corruption et proposait une autre voie que la monarchie sans la prendre directement à partie. Un de ses rédacteurs de 1957 à 1959 nous indiqua que la publication cessa après le départ de Khieu Samphan et que Reachsmey était à prendre dans le sens d’une lumière qui jaillit lorsqu’on a une idée, ou encore d’une Etincelle, par référence au journal de Lénine Iskra [64]. La parution reprit jusqu’en 1971.

Plusieurs numéros furent envoyés dans les sphères administratives et politiques cambodgiennes, et, en juillet 1954, le ministère de l’intérieur cambodgien indiquait que le bulletin soutenait les causes Vietminh et prétendait reconnaître l’existence d’un « Cambodge libre » présidé par Son Ngoc Minh. Il le faisait saisir en septembre car le ton y était « violent à l’égard de Notre Auguste Souverain et de son gouvernement ». En juin 1954, un tract du Reaksmei fut largement diffusé en français à Genève au moment des négociations pour le règlement du conflit indochinois, et fit l’objet d’une réponse par l’étudiant Tep Sambo dans les numéros 814 et 815 du 30 juin et du 3 juillet 1954 du bi-hebdomadaire indépendant de Phnom Penh La Liberté. A travers la critique du tract, il apparaît que les étudiants de Paris y encensaient l’U.R.S.S., la Chine, et la République du Vietnam, et reprochaient aux délégués Cambodgiens et Laotiens à Genève d’être des fantoches et non des représentants « authentiques » des peuples « lao » et « khmer » (en employant ce dernier adjectifs, ils obéissaient à la recommandation d’une brochure khmer issarak publiée en français en 1954, selon laquelle le mot « Cambodge », trop impérialiste, devait être remplacé par « pays khmer » [65]). Ils prétendaient que « toute solution de cessez-le-feu, ou de trêve, ne pourrait être valable pour l’ensemble des territoires de l’Indochine que dans la mesure où ces deux ETATS POPULAIRES BELLIGERANTS (souligné par le REAKSMEI) s’y souscriraient ». Les belligérants étaient pour eux le Cambodge et le Laos car il n’y avait « aucune visée impérialiste de la part du Vietnam démocratique lorsqu’il pos[ait] la question de la participation du Gouvernement ami [ celui de Son Ngoc Minh ] à la Conférence », gouvernement qui contrôlait « le tiers du territoire national », et avait libéré « plus d’un million d’habitants ». Tep Sambo relevait qu’en citant de tels chiffres, jugés entièrement faux, les rédacteurs démontraient qu’ils étaient contre la loi de la majorité et que leur soi-disant Etat Populaire (« le pire des Etats, disait-on au XVIIè siècle ») ne représentait parmi les Khmers, que leur « petit groupe d’hallucinés » si on enlevait les repris de justice, les pirates professionnels, et les endoctrinés. Sambo était frappé par leur mauvaise prose (de « l’auvergnat de la décadence »), leur conception du peuple khmer comme une agglomération de paysans et d’ « ouvriers », et surtout par leur « puissance d’insensibilité » devant les tueries dont étaient victimes leurs compatriotes, ce qui lui faisait intituler ses deux articles « Des Khmers qui dirigent le rayon de la mort sur leur propre pays ». Sambo ne se basait sans doute que sur des sources officielles royales ou françaises.

Ce tract montre qu’il est faux de dire, comme le fait Thiounn Mumm, qu’à Paris en juin 1954, la gauche comme la droite étudiante cambodgienne soutenaient Sihanouk dans sa croisade pour l’Indépendance depuis juin 1952 et s’opposaient au partage en deux du Cambodge prôné par les communistes vietnamiens [66]. La gauche, désireuse de faire bonne figure après la dissolution de l’A.E.K., cachait alors ses convictions derrière une façade d’union nationale sans pour autant les abandonner. De même, on ne saurait écrire que la seule question différenciant la droite et la gauche était la poursuite de la lutte armée en juin 1952, et qu’il existait entre elles une grande convergence politique. Divers documents montrent que la gauche critiquait le manque de fermeté politique des Démocrates.

Un dialogue royal fictif mettant probablement en scène Sihanouk et sa mère, signé du pseudonyme « Clown de théâtre » dans le bulletin n°14 de l’A.E.K. d’août 1952, fustigeait sans les nommer les chefs démocrates qui avaient trahi leur propre doctrine par attirance pour l’argent et le rang (cf. document 9). Le seul épargné était Youtévong, décrit comme un homme intelligent sachant faire respecter le Roi.

Un article non signé intitulé « La lutte libératrice du peuple khmer » et paru en février 1953 dans le numéro 16 du journal pro-soviétique Etudiants anticolonialistes lancé par l’Union Internationale des Etudiants, évoquait la politique des Démocrates en ces termes :

« Les élections du 10 septembre 1951 ramenèrent au Parlement la même majorité démocrate. Le Gouvernement qui en était issu faisait doubler le trafic d’Air France ».

Et après la dissolution du gouvernement démocrate le 15 juin 1952, « le Parlement pris de panique, stupéfait et tremblant comme un rat mouillé, devant l’injonction du Roi, procédait à un "troc honnête" avec son mandat : il consentait à livrer au Roi la loi d’exception et à conserver en contrepartie les indemnités parlementaires qu’il gardait jusqu’en janvier 1953, date à laquelle 3 décrets royaux successifs vinrent annoncer la dissolution pure et simple du Parlement, et proclamer la " loi d’exception " et " la Nation en danger ". Et nos députés démocrates étaient invités à aller philosopher dans les prisons pour trouver une solution au problème d’Indépendance! Le gouvernement royal a la mission de frapper: il frappe les députés (...) les étudiants ».

Un autre article du même numéro sur La grande misère de la littérature khmère se démarquait de la politique démocrate et reprochait à l’appareil d’Etat colonialiste de maintenir le « rideau de l’obscurantisme » sur les frontières cambodgiennes. L’article, par ailleurs sincèrement nationaliste, affirmait que le peuple khmer n’avait « jamais entendu parler des œuvres de Diderot, Rousseau ou Voltaire, ni des écrivains Anatole France [compagnon de route du P.C.F.] ou Henri Barbusse [communiste], ni de philosophes comme Marx et Engels », et que le programme de « démocratisation de l’enseignement » pour « ressusciter la culture nationale » était « trop beau sur le papier ». La solution préconisée était d’ « extirper le colonialisme jusqu’à sa dernière racine! » pour que la Nation se libère du « pire régime d’esclavage ».

En juin 1955, une nouvelle revue était créée à partir de Paris, Vannak Athon (prolétariat), qui faisait, selon le ministre de l’intérieur cambodgien, « l’apologie de la doctrine de Karl Marx » [67].

A Paris, Saloth Sar écrivit des articles dans le bulletin de l’Association des Etudiants Khmers intitulé Khemara Nisut ou Khemarak Nisset (« L’Etudiant khmer »), et qui paraîssait tous les six mois.  Le seul texte qui subsiste et qui est attribué à Saloth Sar (par Keng Vannsak, le responsable du bulletin, qui ne se montre plus sûr à 100 %) est intitulé « Monarchie ou démocratie ? » (cf. document 2). Il s’agit d’un brûlot contre Sihanouk, son gouvernement de courtisans, et la monarchie, accusée d’être gouvernée par la France et d’être « une doctrine injuste, aussi infecte qu’une plaie putride ». Contrairement à Phung Ton qui estimait la dissolution inconstitutionnelle, Saloth Sar, ne critiquait que l’esprit antidémocratique à l’origine de la dissolution. Ils assistait comme d’autres étudiants à l’étranger, au glissement de la monarchie constitutionnelle vers l’absolutisme, et considérait donc pour sa part que la démocratie était « totalement contraire à la monarchie. Ces deux régimes sont ennemis et ne peuvent cohabiter, comme le prouve le coup d’Etat royal du 15 juin ».

Sar choisissait d’abord sans surprise l’angle du bouddhisme pour attaquer la monarchie. Il critiquait l’organisation bouddhique telle qu’elle avait été établie par la monarchie « divisant les bonzes en plusieurs groupes, en créant un rang supérieur, celui des samdech [= monseigneur] ». Il donnait l’avis des quelques « bonzes éclairés » qui avaient osé critiquer le despotisme du roi. De plus, la monarchie prétendait faussement représenter la religion, car elle ne respectait pas elle-même les « dix règles royales ».

Sar reconnaissait les vertus démocratiques d’une Assemblée représentant le peuple :

 « La démocratie (...) est aussi précieuse que le diamant [note : plus tard, la révolution kampuchéenne brillera "de tout son éclat"] et ne peut être comparée à aucun autre régime (...) Le régime démocratique relève de la morale bouddhique parce que notre grand maître Bouddha fut le premier à l’avoir enseignée. Ainsi, seul le régime démocratique pourra sauvegarder la valeur profonde du bouddhisme » [68].

La monarchie, elle, était aussi l’ « ennemie de la connaissance » et pas seulement « de la religion », ce dernier point faisant l’objet d’un paragraphe distinct. « Quand un peuple est instruit, il devient l’ennemi virulent de la monarchie et il veut avec acharnement son abolition ». Bouddha est évoqué à titre d’exemple, son instruction l’ayant poussé à s’écarter de son Roi de père. Et le prince Youtévong rentrait également dans la démonstration: « très instruit », sans pour autant être un bonze, il « abandonna aussi les monarchistes pour inculquer la démocratie au peuple khmer ». Sar rendait hommage à ce personnage, docteur en mathématiques en France et créateur du Parti Démocrate en 1946 auquel le Cambodge avait dû son esprit de liberté après la guerre. Le parti lui-même rassemblait à la fois des modérés, des nationalistes, et des hommes aux idées socialistes [69]. Saloth Sar reprenait approximativement les idées du Parti Démocrate en s’adressant au Roi : « Vous auriez dû réunir le gouvernement pour trouver les meilleurs moyens de chasser l’armée française et les complices des Français, afin d’arriver directement à l’indépendance du pays ». Le Parti Démocrate prônait alors aux Khmers Issaraks (« émancipés », « maîtres »), d’abandonner la lutte armée pour parvenir par des moyens légaux et des négociations avec la France à une véritable indépendance. Sa critique du traité franco-khmer du 8 novembre 1949, qui risquait de prolonger la présence française sur le territoire cambodgien, rejoignait aussi celle des députés de l’Assemblée.

L’article abordait ensuite un mode didactique. Les questions « Qu’est-ce qu’une monarchie ? » et « Qu’est-ce qu’une démocratie ? » introduisaient chacune un paragraphe. Cette non-compatibilité des deux régimes, l’histoire des autres pays le « montr[ait] »:

 « La révolution de 1789 en France, sous la direction de Robespierre et Danton, a dissous la monarchie et exécuté le roi Louis XVI. La révolution de 1917 en Russie, le peuple ayant Lénine et Staline comme guides, a totalement aboli la monarchie » [70].

Elizabeth Becker, pourtant encline à expliquer la tragédie du Kampuchéa Démocratique par une violence traditionnelle et un fascisme dans l’air du temps avant l’arrivée au pouvoir des hommes de Pol Pot, faisait grand cas de l’inspiration communiste qui anima Saloth Sar en écrivant cet article. Or plus qu’une reprise « des idées standard des communistes français à cette époque », le texte est relié, selon nous, à la tradition jacobine française. La démocratie, qu’il dit être en harmonie avec les aspirations du peuple, n’évoque en rien les démocraties populaires. Et si Robespierre, Lénine et Staline sont mis sur le même plan que Danton, et Sun Yat-Sen [71] c’est s’avancer beaucoup que d’affirmer que la démocratie y est présentée « dans un cadre communiste », qu’ « un rapport fantaisiste » est établi « entre communisme et bouddhisme » [72]. Tout  « gouvernement moderne et humanitaire » (Becker) n’est pas nécessairement communiste. D’une façon générale, y voir un article de foi de la philosophie communiste kampuchéenne, qui puiserait ses sources dans la philosophie bouddhique, dans un journal destiné à l’ensemble des Jeunes Khmers de Paris, est surestimer la témérité de ces révolutionnaires, qui n’avouaient pas dans leurs bulletins défendre le communisme. Par ailleurs, le journal était alors dirigé par Keng Vannsak, marxiste modéré et respectueux de certaines traditions. Saloth Sar n’a donc peut-être pas exprimé toutes ses idées qui se cantonnent ici à la défense d’une sorte de démocratie sociale aux sources hétéroclites. L’essentiel des articles visait à prendre à partie la monarchie, et Sihanouk lui-même, après le « coup d’Etat » du 15 juin 1952.

 

Les pseudonymes

Le pseudonyme employé par Saloth Sar au bas de l’article afin de conserver sa bourse, Khmaer daœm, c’est-à-dire, en fonction des traductions, « Khmer Originel » ou « de l’origine » ou « des origines », prête facilement le flanc aux accusations de passéisme, d’ « extrême nationalisme », d’ « extraordinaire présomption » et même d’avant-goût du « nationalisme fanatique et auto-destructeur du futur régime khmer rouge » ou de « signe avant-coureur du fanatisme racial ». On semble ici vouloir assimiler Pol Pot à Lon Nol, le fondateur de l’Institut Mon-Khmer [73] Ben Kiernan, dans l’argumentation de son dernier livre et de ses articles, fait grand cas du pseudonyme pour montrer que Pol Pot était animé d’une obsession de pureté raciale. Des journalistes français vont ensuite jusqu’à en faire un programme de gouvernement, ce qui est, dans les deux cas, escamoter l’origine anecdotique de l’expression et le contenu de l’article signé de la sorte [74].

Si l’on retenait cette seule interprétation, on pourrait trouver une certaine légitimité à se proclamer un khmer authentique lorsque l’élite cambodgienne s’efforçait à mimer la société occidentale – comme l’indiquaient Phung-Ton et Khieu Samphan dans leurs thèses – jusqu’à faire de la clarté de la peau un critère de beauté, comme cela est encore valable de nos jours. Mais les recherches étymologiques offrent des interprétations plus subtiles.  

Les ethnologues et explorateurs français ont noté depuis le XIXe siècle que pour les Khmers, les Khmaer Daeum désignaient les « anciens Khmers », les Khmers d’autrefois, de l’époque prospère, ou certaines peuplades non khmères qu’ils considéraient comme plus ou moins archaïques, à l’image, peut-être, des anciens Khmers [75]. Keng Vannsak, dans une explication rétrospective certainement teintée d’hypothèses anthropologiques en relation avec ses anciennes activités politiques, expliquait que Khmaer daœm désignait en langage populaire « des aborigènes qui ont survécu à l’indianisme », des « Khmers de souche », « non dékhmérisés » par l’influence « hindoue », « bouddhiste », et « cosmopolite ». L’expression ne possédait pas, selon lui, la moindre nuance de nationalisme exacerbé ou de revendication de pureté de l’identité Khmère. « A l’époque, nous a-t-il dit, le problème majeur était l’indépendance pour sortir de l’Indochine française » et ses camarades et lui-même n’avaient pas la notion de l’authenticité de l’identité khmère ou la volonté de valoriser les racines Khmères. L’expression était « plus verbale qu’autre chose ». Les qualifier d’ultra-nationalistes, serait même calomnier ces militants « obnubilés par l’internationalisme, la fraternité et la socialité internationale » pour qui le nationalisme, l’idée d’ethnie ou de race, étaient des crimes, avec des relents d’impérialisme et de nazisme [76].

Le dictionnaire cambodgien-français de Joseph Guesdon donne pour traduction à khmaer daœm « Cambodgiens d’origine = la tribu des thpongs, dans les montagnes de l’ouest » au pied des Cardamomes. L’expression devait en effet être très courante, si l’on observe la place qu’elle prend dans l’article « khmer », en quatrième position juste après les expressions « pays khmer », « royaume khmer », et « écriture khmer » [77]. Marie-Alexandrine Martin rappelle que Khmaer daœm désigne aussi les « habitants du massif des Cardamomes vivant de l’essartage et de la cueillette » tandis que Jacques Népote inclue sous ce terme des minorités de la région de Kompong Thom, Siem Reap, Kampot, et du Nord-Est [78]. Dans l’esprit de Pol Pot aussi bien que de Keng Vannsak, ces tribus avaient pu être dotées de l’innocence primitive rêvée par Rousseau, à moins qu’elles aient été à leurs yeux victimes de l’exploitation féodale. A l’époque, nous a dit Keng Vannsak, ses amis et lui raisonnaient en terme d’exploiteurs et d’exploités plutôt qu’en termes de classe ouvrière ou paysanne, ce que nous a également confié un autre étudiant de gauche.

Ben Kiernan écrivait que d’autres signataires du bulletin de l’A.E.K. utilisaient des pseudonymes plus modernes ou moins raciaux, tels Khmer Serei (Khmer libre) et Khmer nghia, expression qu’il traduit par « travailleur khmer » [79], ce que reprenait Elizabeth Becker. La traduction par « travail » du terme ngear tout seul (action, dignité, fonction, devoir, position, profession) appartient au langage moderne [80]. Lorsque nous avons interrogé Keng Vannsak - grand connaisseur de la langue khmère - sur Khmaer Ngear, nous n’avons pas mentionné le nom de Kiernan. C’est de lui-même qu’il utilisa l’expression Khmaer neak ngear (neak = une personne, les gens) et nous expliqua que ngear introduisait la notion de « profession » (comme tailleur, extracteur, planteur) mais qu’avec l’imposition de l’esclavage dans le système monarchique, neak ngear « devint » ( ?) « gens esclaves », comme ceux qui ramassaient les excréments des habitants d’Angkor, les neak Phdah (personnes « hors de la société », traduction à vérifier). Comme nous faisions remarquer l’omission du terme neak par Kiernan, Vannsak la rejeta comme une erreur. Deux anciens étudiants de l’A.E.K. nous indiquèrent, l’un, que l’expression comportait beaucoup de nuances, mais signifiait surtout « l’opposé d’un homme libre », « un paria », et l’autre qu’elle pouvait être rapprochée du  « serf » des temps féodaux en France [81]. Il est, de plus, intéressant de relever que l’expression a neak ngear apparaît, dans un texte satirique de l’A.E.K. d’août 1952, dans la bouche de la Reine pour désigner les démocrates, avec le seul sens possible de « maudits esclaves », puisqu’elle est prononcée après a reah et a neak srae, signifiant respectivement « sales roturiers » et « maudits bouseux » (cf. traduction en document 9). Neak ngear est rendu dans différents dictionnaires par « vassal », « travailleur forcé », « corvéables », et « esclaves héréditaires », car il s’agissait souvent de personnes dont les ancêtres avaient été des rebelles ou des criminels. En vieux khmer, ngear signifiait « Travaux de corvée, service dû au Roi » [82]. La précision commande de dire que ce que les Occidentaux ont longtemps considéré comme des « esclaves » en Asie du Sud-Est, n’étaient pas forcément astreints continuellement au service du Roi. Au Cambodge, certains ne devaient donner qu’un tribut au Roi, et d’autres n’étaient que temporairement engagés à effectuer des travaux domestiques auprès de leurs maîtres tout en continuant de travailler leur propre terre ou celle d’un autre. Aussi les anthropologues emploient-ils plutôt la notion de « dépendance » [83].

Mais l’important est ce que les Cambodgiens du vingtième siècle percevaient de la situation de dépendance passée, à travers ce qu’en disaient les premiers anthropologues français. Ainsi, il était dit que les tribus de souche Sâmrê (Chông, Peârs) autour du Grand Lac et dans les monts des Cardamomes, avaient eu pour fonction de garder d’anciens temples, comme Angkor Vat, et, après avoir été libérés de leurs maîtres, étaient devenus, « esclaves d’Etat » (« néak ngéar ») « au même titre que leurs congénères, les Pol Krâvanh, chargés de récolter la cardamome. [La citation continue :] Les sauvages soumis étaient en effet héréditairement condamnés au rang social le plus bas, celui de Pol, au même rang d’esclavage que les prisonniers de guerre ou les rebelles contre leur Roi ». Ils ne pouvaient être rachetés comme les Komla au moyen d’une barre d’argent au profit du trésor royal. Les Pol étaient « honnis des hommes libres »,  « parqués dans des hameaux séparés » [84]. Contrairement aux Komla ou aux Khniom (asservis pour dettes) les Pôl et les neak ngear n’étaient pas rachetables. Il est intéressant de noter qu’il suffit de regarder dans un dictionnaire ou un simple lexique français-cambodgien pour tomber sur les deux traductions de l’expression esclaves héréditaires : neak ngear et pôl [85]. Selon un administrateur français, les « Pols » de la région de Pursat dans les Cardamomes (confusion pour les Pors ou Pears ?), avaient été affranchis de leur condition d’esclaves du Roi (Komlars) par l’arrêté du 17 juillet 1897 signé par le gouverneur général Doumer. Un inspecteur indiquait que les Pol en général avaient été reconnus libres, par une Ordonnance Royale, le 1er février 1898, après que l’ordonnance française du 15 janvier 1877 et que la Convention du 17 juin 1884 fussent restées lettres mortes [86]. Selon Keng Vannsak, les étudiants de Paris savaient qu’il avait existé jusque dans les années vingt des esclaves du Roi (Pol Sdech) qui portaient les armes, avant l’arrivée de l’Amiral Thompson. Il leur était, selon lui, moins connu qu’il avait existé des esclaves de Bouddha, les Pol Wat, ou Pol Préah (bien que cette dernière expression existât dans un dictionnaire cambodgien français de 1935 et dans le récit très connu par les Cambodgiens du Sdach Kân, ce pol-Préah devenu mandarin grâce à l’entremise de sa sœur devenue favorite du Roi, et ayant régné de manière juste après une révolte de 1512 à 1516) [87]. Saloth Sar avait déjà dit au moins une fois à Paris qu’il s’appelait Pol (ou Paul) pour cacher son identité, dans des circonstances que Vannsak a refusé de nous révéler. Wilfred Burchett avait également discuté avec Keng Vannsak en 1980 et rapportait que Saloth Sar, supposé être membre du Comité politique du Cercle d’Etudes Marxistes, avait alors « seulement confié à sa petite amie française que son vrai nom était Pol Pot ». Lorsque nous avons demandé à Vannsak si Sar avait eu une petite amie française, il a répondu qu’il ne le pensait pas. Il est alors possible que Vannsak ait d’abord confondu, au sujet de l’activisme au Cercle, de la petite amie, et peut-être même du pseudonyme Pol, avec Rath Samoeun, dont Debré, sans doute inspiré par Keng Vannsak, faisait l’étudiant qui se cachait derrière Pol Pot [88]. Selon Steve Heder le futur nom de guerre de Saloth Sar serait probablement le digne prolongement des noms de plume Khmaer Daæm et Khmaer neak ngear car Pol suivrait la prononciation populaire du mot d’origine pali-sanskrite pôl (prononcer peul) désignant les esclaves. A notre avis Saloth Sar a pu franciser la prononciation du mot, s’il l’a utilisé à Paris, avant de lui donner une orthographe de prénom cambodgien courant. Il est également à signaler qu’un des mots khmers pour « prolétariat », Polotiri, semble formé sur la même racine et que l’on retrouve le mot Pôl dans deux articles écrits à Paris :

D’abord, dans celui attribué à Saloth Sar, au milieu d’un passage dénonçant la condition des Khmers sous la monarchie, traduit ainsi par Chandler : les Khmers étaient « pareils à des animaux, servant de soldats (pol) ou d’esclaves (knjom ke), contraints de travailler jour et nuit pour nourrir le roi et son entourage » [89]. La traduction publiée par Serge Thion associait les deux mots khmers : « La condition du peuple se rabaisse à celle de l’animal; le peuple, qui est considéré comme un troupeau d’esclaves est obligé de travailler sans relâche nuit et jour, pour nourrir la monarchie absolue et son sérail de courtisans » (voir document 2).

Ensuite, dans la revue Etudiants anticolonialistes (n°16, février 1953) diffusée par le comité de liaison de l’Association Internationale des Etudiants de tendance pro-soviétique et anti-titiste. Le comité était dirigé par Jacques Vergès, avec lequel étaient irrégulièrement en contact certains communistes de l’A.E.K. L’article « La lutte libératrice du peuple khmer », non signé, traitait de la répression coloniale au début du XXe siècle, et mentionnait que « tous les habitants » avaient été « condamnés à porter le nom ignominieux, symbole de la pire servitude de "Damnés", de "Maudits" [peut-être le terme Phdah mentionné plus haut, Phdasa signifiant maudire], et leur condition juridique ravalée à celle des "Pôls", des "Esclaves" ». Les milieux anticolonialistes des années cinquante ne manquaient pas non plus de rappeler la répression endurée sous le colonialisme français et l’impérialisme japonais évoquée par le candidat démocrate Mey Phat  dans Coolie de corvée (Coolie Kamnen), ainsi que les souffrances de l’enfermement à Poulo Condor, prison créée par les colons français, retracées plus tard dans Prison politique (Kuk Noyobay) de Bun Chanmol, oncle de Thiounn Mumm [90].

Ben Kiernan escamote volontairement la psychologie de Pol Pot en ne commentant de manière tronquée que l’expression Khmaer daœm, utilisée à une occasion, et non le pseudonyme Pol qui lui resta toute sa vie et dont la valeur symbolique peut souligner son détachement de son milieu familial de paysans relativement aisés ou sa rupture avec le milieu, pour lui assez familier, de la Cour royale. Saloth Sar pourrait être situé dans la veine du révolutionnaire français Gracchus Babeuf, dont le prénom renvoyait au nom de deux héros de la plèbe romaine en lutte contre les gros propriétaires au IIe siècle av. J.C. C’est sous ce nom de Pol qu’il était connu au sein du mouvement Pracheachun vers 1956 [91]. Et dans les années soixante, il était, suivant l’usage cambodgien des appellatifs familiaux, Ta Pouk (le vieux Père), puis Bâng Pol (frère aîné Pol) ou Ta Pol (grand-père Pol), le prénom Pot ne venant que plus tard.

 

III. La thèse en droit de Phung Ton sur la monarchie cambodgienne (1954)

 

Prêtons l’attention qu’elle mérite à une thèse oubliée, bien qu’accessible et mentionnée dans la bibliographie de la thèse de Hou Yuon, qui nous permet de nous replonger dans les préoccupations politiques qui tenaient à cœur les Cambodgiens des années 1952-54, et retrouver des thèmes transmis par le corps instructeur du P.C.F. au sujet de l’histoire de la France.

   Déjà diplômé de l’Ecole Nationale des Langues Orientales vivantes, Phung Ton présenta et soutint sa thèse de doctorat, La crise cambodgienne, le 19 mai 1954 à la faculté de droit de Paris, devant Charles Rousseau (Président du jury), Pierre Lampue et Georges Burdeau. Sympathisant de l’aile gauche de l’A.E.K., il participait, d’après Keng Vannsak au « Cercle Marxiste Progressif » ou « Cercle d’Etudes Marxistes » du noyau des étudiants cambodgiens de gauche. Professeur d’université, il retourna au Kampuchéa en 1975, et fut immédiatement transféré dans le camp de rééducation de Bœng Trabek le 12 décembre, avant d’être finalement transféré à S-21 (Tuol Sleng) le 29 avril 1977 [92].

Voici la description qu’il donnait du Cambodge peu avant 1954 :

« [Le pays] traverse depuis bientôt deux ans une crise aiguë: le coup d’Etat du roi Norodom Sihanouk en juin 1952; la dissolution de l’Assemblée nationale ordonnée par lui en janvier 1953 suivie de l’arrestation de plusieurs députés appartenant au Parti Démocrate, et la suspension de la Constitution à la suite de la proclamation de la "Nation en danger" en sont les preuves (...) Les institutions politiques et sociales désuètes maintenues à son profit par la classe au pouvoir ne conviennent plus à une population qui, lasse de supporter le joug de la classe dominante, cherche à en briser les cadres trop rigides. Cette société féodale dans laquelle vit le peuple cambodgien n’est plus en harmonie avec son désir de liberté. Sur le plan extérieur le Cambodge connaît également un changement dans son statut international: d’Etat indépendant, plus ou moins assujetti dans la première moitié du XIXe siècle à la suzeraineté du Siam, il est passé à l’Etat protégé en 1863; et d’Etat protégé à l’Etat associé à l’Union française en 1949 » [93].

 Selon Ton, la société d’avant le « protectorat » français comportait tous les traits de la féodalité : le roi gouvernait selon son bon plaisir sur un peuple, doux, craintif, ignorant, et obéissant. Ce peuple, dépourvu du moindre droit et ne connaissant que des devoirs, se résignait à son sort sans en être satisfait. L’éducation bouddhique accordait peu d’importance à la vie matérielle d’ici-bas et inclinait à croire que les malheurs de ce monde étaient les conséquences des méfaits commis dans la vie passée, et à rêver d’un avenir meilleur dans l’au-delà. Les puissants, fonctionnaires, mandarins, gouverneurs de province et consorts, se livraient, comme dans les autres régimes orientaux de l’époque, à la corruption, à l’arbitraire et à la tyrannie. Sihanouk aussi s’appuyait sur sa fonction de gardien du bouddhisme pour surmonter le problème des rapports entre la monarchie et le peuple.

La présence française préoccupait assez peu Phung Ton. En 1953-1954, les colons français étaient en effet sur le point de partir, après avoir accordé la souveraineté judiciaire et policière en août 1953, puis la souveraineté économique, militaire, et enfin l’indépendance totale avec la souveraineté diplomatique le 10 mars 1954 [94]. Le bilan qu’il établissait du « protectorat » français était mitigé. La situation laissée au pays n’était guère glorieuse : « On a construit vers 1935 [1936 écrivent d’autres [95]] un seul lycée dont l’effectif n’a jamais dépassé 1000 élèves. D’autre part l’enseignement, même à l’heure actuelle, n’est pas obligatoire. C’est ce qui explique l’existence d’une masse inculte évaluée à environ 70 % de la population ». Une masse opportunément exploitée par des « capacitaires » de l’ancien régime, c’est-à-dire les diplômés ayant effectué deux ans d’études dans un domaine, par exemple le droit, sans avoir eu le bac. Le « protectorat » avait renforcé la division du Cambodge en trois classes sociales :

 

« 1°- L’aristocratie, groupant le Roi, la famille royale, les princes et les bâtards issus de l’union des monarques cambodgiens avec les nombreuses femmes de leur harem.

2°- La bourgeoisie nationale, constituée en gros par 3 catégories d’individus:

a)- les bourgeois-féodaux, formés de dignitaires et de grands mandarins du Royaume

b)- les propriétaires fonciers qui, en vertu de la Convention de 1884 mettant fin à l’inaliénabilité du sol du Royaume "jusqu’à ce jour propriété exclusive de la couronne" ont pu acquérir de grands domaines agricoles.

c) les bourgeois commerçants, comprenant les marchands, les négociants, trafiquants, commerçants, entrepreneurs et les individus embrassant les professions libérales.

d) les fonctionnaires moyens.

La masse du peuple, englobant les paysans, les ouvriers, les employés et les travailleurs en général, auxquels s’ajoutent les petits fonctionnaires et les bonzes, moines bouddhiques vivant aux dépens de la population.

Telle est en gros la répartition des classes sociales à la veille de l’ère de la monarchie parlementaire » [96].

L’analyse de classe reflétait des conceptions qui furent développées plus tard par le Parti communiste khmer : les bonzes partageaient avec le monarque le privilège de vivre sur le dos de la population. Les bourgeois-féodaux se comportaient en caste : ils refusaient tous les métiers dérogeants ou avilissants en raison de leur caractère manuel, « tels les nobles sous la monarchie française », et préféraient exercer des tâches de hauts fonctionnaires. Ils étaient à distinguer des bourgeois commerçants issus de familles chinoises, « pour qui la satisfaction des intérêts pécuniaires constitue la principale occupation ».

Pour ce qui est de l’analyse des infrastructures politiques, Phung-Ton remarque que la Constitution cambodgienne de 1947 était calquée en partie sur celle de la France de 1946. Les « constituants » cambodgiens avaient tout bonnement recopié à l’identique les articles portant sur la question de confiance, la motion de censure, etc. de la Constitution française de 1946. La Constitution cambodgienne s’inspirait encore de la Révolution française, ce qui la rendait anachronique et inadaptée à la réalité cambodgienne. Anachronique car elle reflétait « quant au fond, les conceptions individualistes en honneur à l’époque de la Révolution française de 1789 ». Et inadaptée, « formelle » et « théorique », parce qu’elle ne pouvait servir à tous et instaurerait le régime du laisser-faire:

« Comment [la masse peut-elle] jouir de la liberté de presse du moment qu’elle ne sait ni lire ni écrire? Même à supposer qu’elle le sache, comment ferait-elle pour avoir à sa disposition une entreprise de presse dont l’installation nécessiterait des frais énormes. Cette liberté ne serait-elle pas le monopole des capitalistes et de la classe au pouvoir comme c’était le cas des "démocrates"? La liberté de réunion et d’association suppose pour son exercice effectif la mise à la disposition du public de locaux suffisants. Or ces locaux font partout défaut au Cambodge (sauf dans les pagodes)(...) La seule salle "publique" de Phnom Penh (La philharmonique), dont la location nécessite de grands frais, n’est pas accessible à la masse dans l’ensemble très pauvre » [97].

Cette dénonciation marxiste et sociologique des droits de l’homme de 1789 conduisant à la liberté du chacun pour soi, au « laisser-faire » (ou tout le monde n’a pas les moyens de faire ce que les autres font) ou à la séparation des individus, remonte elle-même aux débats du temps de la Révolution Française. Soboul écrivait que les conventionnels montagnards étaient déjà soucieux de supprimer l’inégalité des richesses qui rendait caducs les droits politiques, comme on le trouvait exprimé dans la philosophie sociale du XVIIIe siècle [98].

Le chapitre de l’Histoire du P.C.U.S. (une référence à l’époque) consacré aux matérialismes dialectique et historique disait également : « tout régime social et tout mouvement social dans l’histoire doivent être jugés, non du point de vue de la "justice éternelle" (...) mais des conditions qui ont engendré ce régime et ce mouvement social et avec lesquelles ils sont liés » [99].

Phung Ton tentait de démontrer le caractère illusoire de la proclamation des libertés d’opinion et d’expression, en raison du manque de papier, des délits d’opinion prévus par le code pénal, et de l’existence d’un service de censure qui interdisait les « journaux, périodiques et revues de tendance socialiste ou communiste (l’Humanité, Libération, Démocratie Nouvelle, Cahiers Internationaux, etc.) susceptibles d’éveiller et de secouer la conscience des masses populaires ». Ces libertés risquaient à tout moment d’être « réduites à néant par "l’ordre public", notion très extensible dont l’appréciation relève de la bourgeoisie au pouvoir » [100].

Comme le faisait le P.C.F. dans ses cours élémentaires de 1952 sur l’Etat, le doute systématique était jeté à l’égard des libertés « bourgeoises » et d’une liberté, celle d’opinion, qui, bien que proclamée, n’était pas vraiment défendue par le pouvoir. Phung Ton tenait donc pour certain que « la masse », même « ignorante » ne pouvait « tirer aucun profit » de la liberté d’opinion. On peut peut-être se demander si le droit à la parole n’avait pas permis à certains démocrates et marxistes de poser le problème de la pauvreté des masses ? La réponse est que ce droit n’avait été accordé que dans d’étroites limites. Il n’existait pas de « laisser-faire » en matière d’opinion. Et on ne saurait exclure que ce furent les forces capitalistes possédantes et leurs serviteurs intellectuels qui incitèrent le pouvoir à interdire au peuple de lire Libération ou l’Humanité. Plus tard, le Kampuchéa révolutionnaire tenta d’inverser les règles du droit à la parole. Au début de l’année 1976, signalait Laurence Picq, le journal Jeunes révolutionnaires estimait que si l’on donnait la liberté de parole à tous dans les meetings, les intellectuels auraient plus de facilité de parole que les paysans pauvres, moins volubiles. Aussi la liberté d’expression « véritable » ne consistait-elle pas à laisser parler n’importe qui, mais à « parler dans le sens du bien du peuple paysan uniquement », ce que seule Angkar était susceptible de faire [101]. 

Phung Ton percevait que si la « bourgeoisie au pouvoir » avait été « en grande partie influencée par la doctrine libérale de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 », « l’intérêt de classe » lui avait dicté une « attitude individualiste et égoïste (...) à l’égard des masses populaires ». Concernant  le droit à la propriété, la Constitution Cambodgienne de 1947 se bornait à déclarer dans la première phrase de son article 7 que « la propriété est sous la protection de la Loi » et non qu’elle est « un droit inviolable et sacré comme c’est écrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Ton y voyait l’expression de la volonté hégémonique future de la bourgeoisie.

« En effet,  s’il est sans conteste que la bourgeoisie nationale constitue la couche privilégiée de la Nation cambodgienne, il n’en est pas moins certain qu’elle ne détient pas toutes les richesses du pays : une majeure partie des terres est entre les mains des paysans, la quasi-totalité des biens et entreprises appartient aux étrangers, notamment aux Chinois (qui concentrent entre leurs mains l’ensemble du commerce intérieur et extérieur du Cambodge), aux Français et aux Vietnamiens (...) Il est donc normal qu’elle ne cherche pas à conférer à la propriété un droit absolu et sacré » [102].

De même, cette fois-ci pour ne pas offusquer le Roi, les rédacteurs de la Constitution n’avaient pas repris la proclamation de l’égalité en droit des hommes à la naissance. Un camarade de Phung Ton se souvient qu’il estimait que la Constitution de 1947 était moins démocratique que celle du Laos, car « tout émanait du Roi » [103].

La bourgeoisie daignait donc prendre dans les textes législatifs français ce qui se conformait à ses intérêts. Pour ce qui était de son mode de vie, son esprit d’imitation était presque parfait.

 « Il y a chez la bourgeoisie cambodgienne et particulièrement dans la couche supérieure de la population imprégnée de culture française, une mentalité qui consiste à trouver meilleur tout ce qui vient des Français et tout ce qu’on fait en France. La tendance est d’imiter les Français et parfois de les imiter aveuglément sans réfléchir. On rencontre souvent à l’occasion des fêtes, des gens habillés à l’européenne (costumes en laine, cravate, souliers vernis) se promenant sous un soleil de 30°, le visage baigné de sueur. Beau spectacle qui suscite l’admiration des uns et la plainte des autres, mais qui révèle chez ses acteurs l’absence de bon sens et d’esprit critique » [104].

 Plus tard, la volonté de rupture du pays avec le passé colonial sera à la mesure de ce conformisme.

On peut déjà s’apercevoir que pour les marxistes cambodgiens, la source de la crise cambodgienne était plus profonde que les interférences entre les systèmes monarchiques et démocratiques. La libéralisation des institutions n’était qu’une étape. C’est ainsi que les révolutionnaires prirent les armes dès l’avènement de la jeune République.

« La démocratie introduite par la Constitution cambodgienne possède une allure par trop libérale; elle est dans l’ensemble le reflet du système du laisser-faire si cher à la bourgeoisie française de l’époque révolutionnaire. (...) Elle [n’accorde pas à l’individu] des pouvoirs d’exiger des prestations de l’Etat » [105].

Phung Ton déplorait que la Constitution de 1947 eût délibérément laissé de côté des « prescriptions essentielles » contenues dans la Constitution française de 1946, telles la nationalisation de « tout bien, de toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait... » (ce qui était le cas, selon lui, des entreprises de transport et des rizeries), la prescription sur « l’aide et l’assistance à la famille, à l’enfant, aux vieux travailleurs, aux incapables et invalides » (et notamment l’extension des allocations familiales - réservées jusqu’alors aux fonctionnaires - aux miséreux, vieillards, enfants abandonnés, contraints de mendier ou de partager le repas des bonzes), ou encore le droit à l’instruction gratuite pour l’enfant et l’adulte.

 Alors même que la Chine nationaliste, « démocratie bourgeoise », comportait dans sa Constitution l’obligation de recevoir une instruction publique, celle du Cambodge n’en faisait aucunement mention. Phung Ton, que l’on pouvait imaginer encore comme un progressiste au sein du parti Démocrate bataillant pour l’éducation des masses, n’était en fait guère enchanté par les quelques réformes entreprises par les Démocrates, avec qui il prenait franchement ses distances. Les réformateurs démocrates n’avaient certes pas attendu la Constitution pour créer « de nombreuses écoles nouvelles » et accroître les manifestations culturelles. « Mais » ces réalisations étaient jugées « trop modestes », l’instruction n’étant pas encore accessible à tous. Phung Ton n’estimait pas utile, comme on aurait pu le supposer, d’appeler les bourgeois les plus généreux à appliquer ces lois qu’ils avaient proclamées. Non, l’esprit élitiste de la bourgeoisie déteignait irrémédiablement sur les réformistes du Parti Démocrate. Les bourgeois démocrates dont le programme était flou et qui étaient composés de commerçants et de fonctionnaires, ne pouvaient avoir pour objectif que d’arriver au pouvoir par les élections pour « défendre leurs intérêts de classe » [106].

« Les faits sont là pour le prouver: depuis la mise en application de la Constitution de 1947 on constate la création des syndicats ou des associations de fonctionnaires, de femmes (de la bourgeoisie) du Cambodge, etc. Quant aux syndicats de travailleurs ou de paysans, il n’en est pas question: leur formation s’est heurtée à l’opposition irréductible de certains leaders "démocrates" au pouvoir, lesquels ont peur des groupements populaires » [107].

Phung Ton privilégiait donc des moyens plus directs que les réformes:

« De même que l’autorité ne se transmet pas, mais s’acquiert, de même les libertés démocratiques ne se donnent pas; elles se conquièrent par la lutte. La démocratie libérale en France est le fruit de la victoire du peuple français sur la monarchie absolue. La chute de celle-ci a permis le maintien et le développement de celle-là » [108].

En marxiste, ou en accord avec la vision du P.C.F de la Révolution Française depuis le milieu des années trente, Phung Ton était conscient du rôle moteur de la bourgeoisie. La lutte contre la monarchie s’appuiera sur le « peuple, ou plus exactement une bourgeoisie montante qui aspirait à la direction du pays en s’appuyant sur les masses populaires » [109] (Un peu comme Lénine considérait la révolution démocratique bourgeoise et la révolution socialiste comme deux anneaux d’une même chaîne  dans sa brochure Deux tactiques) [110]. Ton jugeait le peuple prêt à être mobilisé. Les diverses manifestations, les grèves dans les villes et les provinces début 1953, et les élections en faveur du Parti Démocrate dit « Parti du mouvement », étaient le signe d’un frémissement :

« On dit que le peuple cambodgien, habitué comme les autres peuples asiatiques à subir depuis des siècles le poids de l’autocratie éprouvera beaucoup de difficultés pour s’adapter à un régime démocratique. Cela est exact, un tel régime étant jusqu’au début du XXe siècle à peu près inconnu en Asie. Mais est-ce à dire qu’il acceptera facilement de rentrer sous le joug de la dictature? Les faits nous autorisent à répondre négativement » [111].

Finalement, Ton ne pensait même pas suffisant d’étendre les droits sociaux français : 

 « En effet la démocratie à l’heure actuelle ne renferme plus le même contenu qu’autrefois. Depuis l’avènement du Communisme, elle revêt 2 formes: la forme classique dite "occidentale" ou bourgeoise, et la forme nouvelle dite "orientale" ou populaire, qui diffère l’une de l’autre dès le point de départ. (...) Nous savons que la Déclaration des Droits de 1789 est, pour une large part, une synthèse de la pensée philosophique des principaux écrivains du XVIIIème siècle et notamment de Rousseau et de son "Contrat Social". Or Rousseau avait écrit dans une époque où l’inégalité politique constituait un obstacle à la démocratie, laquelle selon lui, serait réalisée par la suppression des barrières politiques entre la noblesse, le clergé et le Tiers Etat. L’idéal pour le siècle de Rousseau, c’était une démocratie politique qui pouvait être atteinte par la suppression des cloisons politiques entre les classes sociales, c’était l’égalité politique. Mais cette égalité politique ne convient plus au XXème siècle. C’est une "démocratie économique" et une "égalité économique" dont notre époque a besoin. A la place de l’égalité de droit, de l’égalité juridique qui avait suffi à une société d’il y a 150 ans, il faut une égalité de fait concrétisée par une égalité économique. Le XVIIIè siècle s’est borné à supprimer les classes politiques pour réaliser la démocratie, le XXe demande l’abolition des classes économiques » [112].

La manière employée pour réaliser l’abolition des classes et l’égalité économique n’est pas précisée. Mais les communistes cambodgiens, dont Phung Ton est pour un moment le miroir, seront étonnamment fidèles à la lettre : voulant instaurer une « démocratie véritable », comme il était dit dans la Constitution de 1976, ils supprimèrent l’égalité de droit, et imposèrent à la place  l’égalité économique d’une population privée de droits.

Les raisons pour lesquelles Phung Ton fut éliminé par ses anciens camarades ne sont pas, comme c’est souvent le cas, clairement établies. Peut-être était-il opposé à l’emploi des armes. Evoquant l’emploi de la force par Sihanouk pour réprimer les mécontentements populaires, il estimait que son efficacité ne devait être attribuée qu’à un effet de surprise transitoire. Car d’une manière générale l’efficacité de la force « est de courte durée, comme le rappelle aux passants, cette phrase inscrite au-dessus de la porte d’entrée de la bibliothèque centrale de Phnom Penh: "La force ne lie que pour un temps, les idées enchaînent pour toujours" » [113].

Lorsqu’il écrivait sa thèse, Ton n’était déjà pas très agissant. Selon Keng Vannsak, son refus de distribuer des tracts ou de manifester en bon militant, plutôt que de se consacrer à son diplôme, l’avait rendu suspect d’individualisme. Un membre de l’A.E.K. en France jusqu’en février 1954 rappelle que Ton était un membre modéré du Cercle. On le prenait pour un « légaliste », ce qui était mal vu. Phung Ton était honnête et disait ce qu’il pensait. Un autre étudiant se souvient qu’on lui reprochait d’être à la recherche d’un diplôme. En 1954, il avait rejoint le Parti Démocrate. Devenu directeur de l’Enseignement Supérieur du Cambodge et chargé de cours en Droit Public et Droit International à la Faculté de Droit de Phnom Penh, ainsi que docteur en droit avec trois DES (Diplômes d’études secondaires), il avait adhéré, comme tout haut fonctionnaire, au rassemblement de Sihanouk (le Sangkum). Toutefois, il avait toujours refusé de la part de Sihanouk le poste de ministre de l’Education, pour des raisons liées à ses convictions. Bien que modéré et raisonnable, il n’était nullement opportuniste. En 1960, il était reparti en France pour préparer l’agrégation. Un membre de l’U.E.K. qui était son voisin de chambre dans les années soixante le décrit comme un « progressiste » ayant maintenu d’étroites relations avec l’U.E.K. tout en restant précautionneux lorsqu’étaient abordés les problèmes politiques [114]. Jusqu’en 1972, date de son départ en France, il occupa le poste de recteur de l’Université de Kompong Cham puis de celle de Phnom Penh. Après la chute de Phnom Penh, le 17 avril, il était parti retrouver sa femme diabétique et sa fille atteinte de polio, pensant que ses anciens camarades ne lui causeraient pas de soucis étant donné qu’il n’avait pas été mêlé à des activités politiques [115]. 

 

 



[1] Centre d’Archives d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Indochine, Nouveau fonds, dossier n°1317, Association les « Amitiés Indochinoises » (1945-1952).

[2] Annexe de Thiounn Mumm «  Au sujet des étudiants khmers à Paris avant 1975 », in Vandy Kaonn, Cambodge: La nuit sera longue. Paris, 1996, éditions Apsara, C.P. 232 succursale M, Montréal, Québec, H1V 3L8, pp.179-192 .

[3] Entretien du 2 février 2000 avec le Docteur So Satta. Chandler a aussi relevé l’anecdote des cravates rouges, qui permettait aux Français de croire que la manifestation avait été inspirée par des communistes (The Tragedy of…, p.43). Communication de Philip Short. Elizabeth Becker a interrogé Ieng Sary, et écrit qu’il était un meneur de ces grèves, en tant que chef du groupe « Libération du Cambodge du colonialisme français », Les larmes du Cambodge, l’histoire d’un auto-génocide, Presses de la Cité, 1988, p.64 (New York, Simon & Schuster, 1986, p.69).

[4] Ben Kiernan, How Pol Pot came to power, a history of communism in Kampuchea, 1930-1975, Verso, London, 1985,  p.119. François Debré, Cambodge, la révolution de la forêt, Flammarion, 1976, p.82. Les deux auteurs ont interrogé Keng Vannsak. Mey Mann a également confié à Henri Locard en août 1998 que Rath Samœun et Ieng Sary avaient lu des livres marxistes chez le prince Youtévong et son frère Indravong. Voir aussi Ariane Barth et Tiziano Terzani, Holocaust in Kambodscha, Dokumentation  Anke Rashatasuvan, Ed. Spiegel-Buch, Reinbek bei Hamburg, 1980, Allemagne, p.216.

[5] François Debré, La révolution de la forêt, p.82.

[6] David Chandler, Pol Pot, frère numéro un, p.44. Communication personnelle de Henri Locard qui a interrogé Saloth Nhiap à Kompong Thom, un des frères de Pol Pot. L’école comportait une section mécanique.

[7] Communication personnelle de Chau Xeng Ua, président de l’Association Khmère.

[8] François Debré, op. cit., p.83. Entretien avec Keng Vannsak, 11 avril 2001. Henri Locard, Conversations avec Ieng Sary, Mey Man, Suong Sikœun & Long Norin, 1999, p.13.

[9] Vandy Kaonn, Cambodge: La nuit sera longue. Paris, 1996, éditions Apsara, C.P. 232 succursale M, Montréal, Québec, H1V 3L8. Annexe de Thiounn Mumm, « Au sujet des étudiants khmers à Paris avant 1975 », pp.179-192. Chandler, The Tragedy of…, p.55.

[10] « Une leçon aux calomniateurs », communiqué de l’A.E.K., 21 décembre 1952.

[11] Archives Nationales du Cambodge, Min. Interior, Correspondance sujets divers 1950-1952, régime de presse 1951. Lettre du chef des services de la Police Nationale, 23 octobre 1952.

[12] Date de son retour, Id. Keng Vannsak, entretien du 17 mai 1998.

[13] Vickery, « Looking Back at Cambodia, 1942-1976 », in Kiernan & Boua, Peasants and politics, p.91.

[14] Sur le cercle, voir la fin de notre première partie. Communication de Ieng Sary via Suong Sikœun, août 2000.

[15] Communication personnelle de Philip Short, 11 octobre 2001.

[16] David Chandler, d’après une interview avec Thiounn Mumm, The Tragedy of Cambodian History, pp.55, 325. Anecdote des livres non découpés confirmée par Suong Sikœun, septembre 2000.

[17] Annexe de Thiounn Mumm « Au sujet des étudiants khmers à Paris avant 1975 », pp.179-192 in Vandy Kaonn, Cambodge: La nuit sera longue. Paris, 1996, éditions Apsara, C.P. 232 succursale M, Montréal, Québec, H1V 3L8.

[18] Communication personnelle de Philip Short, 11 octobre 2001.

[19] Entretien avec le Docteur So Satta, qui étudiait la médecine militaire à Lyon et venait souvent à Paris, 2 février 2000.

[20] Henri Fiszbin, Les bouches s’ouvrent, une crise dans le Parti Communiste, ed. Grasset, 1980.

[21] Archives de secrétariat général de la Cité Internationale Universitaire, Maison d’Indochine. La date est confirmée dans les Archives nationales (n° AJ 16 7042). Maison des étudiants de l’Indochine, 1926-1953, Dossier I. Agitation politique et anticolonialiste: correspondance, rapport sur la tenue de chaque résident, rapports divers, manifeste, 1930-1953.

[22] Entretien avec Vo Nhan Tri, 9 juin 1999, Mey Mann, 14 juillet 2000, et communication de Ngo Manh Lan.

[23] Phung Ton, La crise cambodgienne, Thèse de doctorat en droit, 1954, p.102.

[24] Archives du minsitère des Affaires Etrangères, série Cambodge Laos Vietnam, Cambodge, n°108, rapport de la direction des Renseignements Généraux du 9 juin 1964 : «  la colonie cambodgienne en France ».

[25] Vandy Kaonn, Cambodge: La nuit sera longue. Paris, 1996, éditions Apsara, C.P. 232 succursale M, Montréal, Québec, H1V 3L8, 231 p. Annexe de Thiounn Mumm « Au sujet des étudiants khmers à Paris avant 1975 », pp.179-192.

[26] Entretien avec Nicole Bizeray, 26 avril 1999. Communication personnelle de Pierre Brocheux, qui était devenu militant à l’université en 1951. Pierre Brocheux, historien, a écrit Indochine, une colonisation ambiguë en collaboration avec Daniel Hémery et a réuni diverses contributions dans Histoire de l’Asie du Sud-Est, révoltes, réformes, révolutions, aux Presses Universitaires de Lille en 1981 et dernièrement dans Du conflit d’Indochine aux conflits indochinois, Complexe, IHTP/CNRS, 2000.  

[27] Marie-Alexandrine Martin, Le mal cambodgien, Hachette, 1989, p.62. Cet ouvrage est bien documenté sur les diverses associations d’étudiants cambodgiens en France, et sur les activités politiques organisées par l’antenne du FUNK en France.

[28] Chau Xeng Ua ne se souvient pas de son existence. Il était en France depuis 1948. Proche du Parti Démocrate et de la S.F.I.O., étudiant l’économie politique et les sciences sociales à l’Institut Catholique, il fut député en 1962 et ministre de la République Khmère.

[29] Phung Ton, op. cit., p.99. Confirmé par Keng Vannsak le 10 mai 1998.

[30] Archives du ministère de l’Intérieur consultables au Centre des Archives Contemporaine à Fontainebleau, cote 84 00 83 art. 37, Dossiers et associations d’étrangers.

[31] Philippe Preschez, Essai sur la démocratie au Cambodge, Centre d’Etudes de Relations Internationales, Fondation Nationale des Sciences Politiques, oct. 1961, p.16, citant Le Démocrate, 12 août 1944. Sur les Thiounn, communication de Philip Short.

[32] Nous remercions Steve Heder de nous avoir envoyé la liste des boursiers de ces années-là tirée d’une liste officielle récupérée avant l’arrivée des Khmers rouges et déposée à la bibliothèque de l’Université de Cornell.

[33] Entretien avec Mey Mann, 14 juillet 2000.

[34] « Une leçon aux calomniateurs », communiqué de l’A.E.K. du 21 décembre 1952 (cf. document 11). Sur le fait que Saloth Sar reçut une bourse de 28 000 F, Kiernan, How Pol Pot..., 1985, p.122. Jean Plumyène, Le tombeau de Staline, Table Ronde, 1972, pp.125-126.

[35] Ben Kiernan, How Pol Pot ..., p.122, d’après Contrôle des étudiants boursiers : Carnet n°1, France (1946-50).

[36] Entretien avec Mey Mann, 14 juillet 2000. Hou Yuon l’avait appelé par téléphone pour lui dire de revenir.

[37] William Shawcross, Une tragédie sans importance, Balland, 1979, p.241.

[38] David Chandler, Pol Pot, op. cit., p.72. « Pol Pot’s interview with Yugoslav Journalists » (17 mars 1978), Phnom Penh Home Service, Summary of World Broadcasts, BBC, 24 March 1978.

[39] Entretiens avec Nicole Bizeray, 26 avril 1999, et Nghet Chhopininto, 4 mars 1999. Mey Mann nous a confirmé avoir perdu sa bourse en 1953.

[40] Une radio tenue par des indépendantistes fortement liés au Vietminh à cette date. CAOM, Indo HCI, conspol 300.   

[41] François Ponchaud, Cambodge année zéro, Julliard, 1977, p.187.

[42] Ben Kiernan, How Pol Pot came to power, 1985, p.32. Même indication de la qualité de beau-frère par Mr. W. Allusion au fait que Mme Thiounn Cheoum se mria à « Chhean Vorm », de la classe capitaliste, dans l’autobiographie de Thiounn Prasith. Searching for the Truth, N°4, April 2000, p.12.

[43] Entretien avec Kim Vien du 26 mars 1998. Docteur en médecine à la Faculté de Paris, Kim Vien pratiqua la médecine au Cambodge jusqu’en 1975. En 1974, élu président de l’Association des Intellectuels Cambodgiens, il avait tout à craindre des Khmers rouges qu’il avait refusé de rejoindre dans les maquis malgré les instances de son ancien ami Ieng Sary.

[44] Ariane Barth, Tiziano Terzani, Anke Rashataswan, op. cit., p.217.

[45] Joël Kotek, Paix et guerre parmi les jeunes étudiants: les organisations internationales de jeunesse et d’étudiants dans la guerre froide (1935-1967), thèse de doctorat de l’I.E.P. de Paris, t.2, p.450. Jaques Vergès, Un salaud lumineux, conversations avec Jean-Louis Remilleux, Livre de poche, pp.73-90 et 347-348, édition n°1 Michel Lafon, 1990. Vergès se méprend ou souhaite impressionner son interlocuteur en confiant qu’il avait assisté à Paris au mariage de Pol Pot, au lieu de celui de Ieng Sary. Passé par une école centrale coloniale du P.C.F. en 1947, il était élu, de 1950 à 1954, membre du congrès puis du bureau directeur de l’Union Internationale des Etudiants à Prague. Lors des manifestations anticoloniales, le comité de liaison de l’Union Internationale des Etudiants mobilisait selon lui plus de monde que le P.C.F. Annie Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, Robert Laffont, 1991, pp.426-427. Annie Kriegel, alors jeune permanente du Parti, décrit Vergès comme un homme agité, vindicatif, hargneux, accusateur, voulant aller plus vite que la musique, « marqué de l’horrible sceau qu’est le désir — et le plaisir — de faire le mal ». Elle n’a « pas le moindre doute que, si les circonstances l’avaient permis, c’est à Pol Pot qu’il aurait ressemblé » (sans doute avait-elle une idée assez fantastique de Pol Pot, voir Ce que j’ai cru comprendre, p.430). Entretien avec Jean Beckouche, 4 avril 2000. Dans la biographie de Vergès et de son frère Paul (Thierry Jean-Pierre, Vergès et Vergès, de l’autre côté du miroir, Lattès, 2000), Jacques Vergès reconnaît avoir reçu un télégramme de Khieu Samphan. Khieu Samphan nous a dit qu’il avait reçu, dédicacé de sa part, « Un salaud Lumineux », entretien du 14 juillet 2000. Selon un de ses proches, il aurait connu Vergès aux groupes de langue du P.C.F. (qui apportaient aide matérielle aux communistes étrangers). Thierry Jean-Pierre estime que Vergès a pu passer les années 1970-1975 en Indochine, mais sans doute pas sous le K.D. d’où tous les étrangers avaient été renvoyés chez eux [ à l’exception toutefois de rares femmes mariées à des khmers de gauche ]. Mey Mann, militant communiste actif dans sa jeunesse, rencontrait Vergès une fois par an à « l’association des étudiants anti-coloniaux ». La première fois, c’est un étudiant réunionnais des travaux publics qui le présenta à lui (entretiens du 14 et 15 juillet 2000). Dans les années quatre-vingt dix, Thiounn Prasith, qui devait faire part de ses activités politiques avant de rentrer sur le territoire américain ne se souvenait plus s’il avait connu en France Jacques ou Paul Vergès (entretien avec Long Norin, 14 juillet 2000). La présence de Vergès sous le K.D. n’est attestée par aucune source ni aucun témoin. 

[46] Entretien avec Mr. W., formel sur le fait que ce n’était pas l’actuel célèbre avocat mais son frère devenu député.

[47] Staline, Des principes du léninisme, p.15.

[48] Pin Yathay, L’utopie meurtrière, Robert-Laffont - Opéra Mundi, 1980, pp. 13-14. Rapport de la Préfecture de Police de Paris, décembre 1956, Associations d’étrangers, « Activités de l’U.E.K », Archives Contemporaines de Fontainebleau, cote 84 00 83, art.37.

[49] Phung Ton, op.cit., p.6.

[50] Ibid., p.63.

[51] Ibid., p.198.

[52] Phung Ton, op. cit., p.198-199.

[53] Debré, op. cit., p.80.

[54] Entretiens avec Keng Vannsak, mai 1998 et 11 avril 2001.

[55] Archives Nationales du Cambodge, Police 1949-1953, Arrivée 1952-1953.

[56] François Debré, op. cit., p.84.

[57] Entretiens avec Keng Vannsak, 17 mai 1998, 11 avril 2001. C’est Penn Nouth qui, en mai 1970, présida le GRUNK, auquel appartenait Hou Yuon.

[58] François Debré, op. cit., p.81.

[59] Entretien de juillet 2000.

[60] Ariane Barth, Tiziano Terzani, Anke Rashataswan, op. cit., p.219.

[61] Jean Lacouture, Survive le peuple cambodgien, Le Seuil, 1978, p.30.

[62] Le Sangkum, avril 1966, n°9, p.13.

[63] Sur la fréquence de publication, voir M.-A. Martin Le mal cambodgien (dont la source est sûrement Keng Vannsak).

[64] Entretien avec Suong Sikœun du 23 août 2000. Selon un ancien participant à son élaboration, autour de 1953, le titre signifiait l’Eclat du Soleil ou l’Etincelle, en référence à Staline (?) (Entretien avec Mr. W). Steve Heder précise que Reachsmey est une métaphore courante en khmer, en thaïlandais, et en birman, utilisée par plusieurs journaux cambodgiens et pour célébrer les femmes (communications personnelles, 6 septembre 2000 et 8 mai 2001). Notons au passage que Hô Chi Minh signifie « source de lumière » (Pierre Brocheux, Hô Chi Minh, presses de Sciences Po, 2000, p.18).

[65] Le peuple khmer lutte pour l’indépendance et la paix, Gouvernement de la Résistance Khmer, 1954. A Genève, Pham Van Dong parlait même de « gouvernements de la résistance du Khmer et du Pathet Lao » ou de « ne pas séparer le Viêt-minh du Pathe Lao et du Khmer » (François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine, Genève 1954, publications de la Sorbonne, 1979, p.222).

[66] Vandy Kaonn, Cambodge: La nuit sera longue, Paris, 1996, éditions Apsara, C.P. 232 succursale M, Montréal, Québec, H1V 3L8, 231 p. Annexe de Thiounn Mumm Au sujet des étudiants khmers à Paris avant 1975, pp.179-192.

[67] Archives Nationales du Cambodge, Min. Interior, Telegr. Corres. 1953-1958, 1959, 30 juin 1955.

[68] Article traduit dans Khmers rouges! de Serge Thion, p.357. (Cf. document 2 en annexe).

[69] Entretien avec Keng Vannsak, 4 mars 1998. Elizabeth Becker, Les larmes du Cambodge..., p.63 (New York, p.68).

[70] Serge Thion, op. cit. (Cf. document 2).

[71] Sun Yat-Sen, le nationaliste chinois qui réorganisa le Kuomintang en acceptant d’y accueillir les communistes, suite au soutien de l’U.R.S.S, ce qui valut à son nom de désigner, après sa mort en 1925, une des universités de Moscou formant les étudiants du tiers-monde.

[72] Elizabeth Becker, op. cit., p.71 (N.Y., p.77).

[73] Dans l’ordre, Elizabeth Becker, op. cit., Paris, p.71 (New York, p.76), Le Monde 7 juin 1996, article non signé, et Haing Ngor, op.cit., p.320 qui n’a jamais entendu parlé des « Vietnamiens » sous les Khmers rouges qui disaient juste « l’ennemi » (p.283) et indique juste qu’on lui demanda une fois s’il était chinois ou vietnamien (p.172) et que les soldats se mirent à chercher les Cambodgiens parlant vietnamien en 1978 (p.258). Ngor traduit par « Khmer authentique », alors que l’expression cambodgienne équivalente est Khmaer Sott. Lon Nol entendait étudier la supériorité de la race khmère à peau sombre (p.53).

[74] Paul Dreyfus a récemment rêvé que Pol Pot avait répété « des centaines de fois » vouloir revenir au « Khmer originel » (Pol Pot, Le bourreau du Cambodge, Stock). Cela semble faire écho au Monde : « Les Khmers rouges procédèrent en avril 1975, sous [les ordres de Pol Pot], à l’évacuation [des habitants des villes] ainsi forcés de retourner aux sources du "Khmer originel", dans la rizière ou la forêt » (17 avril 1998, Francis Deron et Jean-Claude Pomonti).

[75] Jacques Népote, « Pour une reconsidération de la stratégie d’études orientalistes sur le domaine cambodgien », Michel Antelme, « Quelques hypothèses sur l’étymologie du terme "khmer" », Péninsule, 1998, n°36, pp.155-158 et n°37, p.178. S. Tandart, Dictionnaire Cambodgien-Français, Phnom Penh, Imprimerie Maire Albert Portail, 1935, t.II, p.508 (« les anciens Khmers »).

[76] Entretiens avec Keng Vannsak, mai 1998 et 11 avril 2001.

[77] Joseph Guesdon, Dictionnaire cambodgien français, Plon-Nourrit & Cie, fascicule deuxième, 1919, p.265, ou Dictionnaire cambodgien-français, Plon, 1930, p. 265 (pour khmer daœm) et 866 (pour thpong).

[78] M.-A. Martin, op. cit., p.106, et son livre Khmers daeum publié en 1997 à l’Ecole Française d’Extrême Orient. Autour du livre de Martin, lire Jacques Népote, « Pour une reconsidération de la stratégie d’études orientalistes sur le domaine cambodgien », Péninsule, 1998, n°36, pp.157-158 et Georges Condominas, « L’ethnographie du Cambodge. A propos de l’article de J. Népote (…) », Technique  culture, n°35-36, 2000, pp.533-536.

[79] B. Kiernan, How Pol Pot..., p.121. Dans son dernier livre, p.21, Kiernan se garde de reprendre les expressions khmères.  

[80] Georges Cœdès, Articles sur le pays khmer, t.II, EFEO, 1992, p.87, n.8. Dictionnaires récents, Judith M. Jacob, A Concise Cambodian-English dictionnary, 1974, ou précédé de kâr, Contemporary cambodian glossary, Department of State, Washington, 1975. Joseph Guesdon, Dictionnaire cambodgien français, Plon-Nourrit & Cie, fascicule 3e, 1920, p.355. Il y a plus longtemps, ngeay accompagné ou non de sruol traduisait un travail facile (Dictionnaire français cambodgien de S. Tandart (1910) et lexique français-cambodgien Pannetier-Poulichet, 192?).

[81] Entretiens effectués en avril 2001. Phouk Chhay oppose également neak chea (hommes libres) et neag ngea (esclaves) (Le pouvoir politique au Cambodge, pp.24, 73). Pour Phdah, Alain Daniel, Dictionnaire pratique cambodgien-français, p.311.

[82] Alain Daniel, op. cit., 1985, p.627. Joseph Guesdon, op. cit., fascicule 3e, 1920, p.355. S. Tandart, Dictionnaire cambodgien-français, Phnom Penh, Hong Kong, 1910, Imprimerie de la Société des Missions étrangères, Imprimerie de Nazareth, p.727, ou Phnom Penh, 1935, Imprimerie Portail, Phnom Penh, p.628, t.II, p.1621. Pou Saveros, Dictionnaire vieux khmer-français-anglais, Cedoreck, 1992, p.147. Pour « corvéables », Pou Saveros, Guirlande de cpãp’, t.1, 1988, p.594, cité par Grégory Mikaelian « La gestion administrative du royaume khmer d’après un code institutionnel du XVIIe siècle, le kram sruk de Chey Chettha III, 1615 », Péninsule, n°38, 1999, pp.118-121, 133-135 146, où l’on voit l’ancienneté de ces expressions qui ne datent pas de la période du protectorat.

[83] Etudes de M.-A. Martin, Khin Sok, et Alain Forest in Georges Condominas (Ed.), Formes extrêmes de dépendance, contributions à l'étude de l'esclavage en Asie du Sud-Est, EHESS, 1998, pp.285-356.

[84] R. Baradat, « Les Sâmrê ou Peâr, population primitive de l’Ouest du Cambodge », Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême Orient, t.XLI, Hanoi, 1941, p.25 (merci à Heder pour nous avoir fourni la référence).

[85] J. Guesdon, op.cit., pp.1203-1204. S. Tandart Dictionnaire français-cambodgien, Hong Kong, 1910, p.727. Dr. A. Pannetier, M. Poulichet, Lexique français-cambodgien nouvelle édition, Phnom Penh, Portail, 192?, p.191.

[86] A. Rousseau, administrateur des services civils de l’Indochine, Cambodge, les « Pols » de la région de Pursat, voyage dans les montagnes des Cardamomes, Imprimerie du Protectorat, 1903, p.8. R. Baradat, op. cit., p.25. L’esclavage fut symboliquement aboli en 1884, mais la mesure mit du temps à s’appliquer partout, et il subsista la servitude pour dettes (David Chandler, A History of Cambodia, 2nd edition, Westview Press, 1993, pp.144, 147).

[87] S. Tandart, Dictionnaire Cambodgien-Français, 1935, t.II, p.1622 : Pôl Preah = esclaves des pagodes. Adhémard Leclère, « Le Sdach Kân », Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises, n°59, 2e semestre, 1910, pp.17-55.

[88] Entretien avec Keng Vannsak, 11 avril 2001. Pour sa part il donnait l’hypothèse que le prénom Pol avait un côté descriptif, pol-pol signifiant dodu... David Chandler, Pol Pot, frère numéro un, p.81. Wilfred Burchett, The China Cambodia Vietnam triangle, 1981, p.50. Chandler, à qui Vannsak avait déjà dit que Sar avait utilisé une fois le pseudonyme Pol (ou Paul) pense que Paul a pu être le nom de Saint que les nonnes de l’école Miche lui avaient donné. Mais on peut penser peu probable qu’un militant anti-colonialiste partisan d’anéantir tous les vestiges du passé (voir radio officielle, S.W.B., BBC, Far East, 8 juillet 1975) ait pu vouloir garder un tel prénom. D’autant qu’un ancien prêtre de l’école Miche dans les années trente et quarante a indiqué à Philip Short qu’ils ne donnaient pas de noms chrétiens aux élèves.

[89] David Chandler, Pol Pot, frère numéro un, p.70.

[90] Entretien avec In Sopheap, juillet 2000. In Sopheap, Khieu Samphân, agrandi et réel, version dactylographiée, 2001-2002, pp.7, 9, 10 (Bun Chan Mol critiquait les mandarins et mouchards au service de l’étranger qui étaient « l’obstacle principal entravant la marche de notre révolution »). Henri Locard a recueilli de Thiounn Mumm qu’il avait été influencé par son oncle Boun Chan Mol, auteur en 1971 de Kuk Noyobay (prison politique), sur Poulo Condor. Un démocrate comme Pach Choeun y avait été incarcéré (entretien avec Sin Khemko) et en avait gardé des cicatrices aux chevilles (In Sopheap, op. cit.). 

[91] David Chandler, Pol Pot, frère numéro un, p. 93.

[92] Communication personnelle de Steve Heder.

[93] Phung Ton, La crise cambodgienne, Thèse de droit, p. 2-3.

[94] Philippe Richer, L’Asie du Sud-Est, Imprimerie Nationale, 1981, p.146.

[95] A History of Cambodia, 2nd edition, Silkworm Books, Chaing Mai, 1993, p.160. Le Salut Khmer, 15 juin 2001, n°236, p.3.

[96] Phung Ton, op. cit., p.28.

[97] Phung Ton, op. cit., pp. 40-42.

[98] Paragraphe « La démocratie sociale » dans Albert Soboul, Précis d’histoire de la Révolution Française, 1962, p.326.

[99] Histoire du P.C.U.S. 1939. p.103

[100] Phung Ton, op. cit., p.43. Nous avons trace de l’interdiction du journal Libération et l’Echo du centre par le Commissaire de la République Française au Cambodge De Raymond, le 27 novembre 1950, pour la raison qu’elles risquaient de « porter atteinte au moral de l’Armée et de la Population ».

[101] Témoignage dactylographié de Laurence Picq, p.95.

[102] Phung Ton, op. cit., p.54, 56.

[103] Entretien avec Mey Mann, 14 juillet 2000.

[104] Ibid., p.61.

[105] Phung Ton, op. cit., p.52.

[106] Phung Ton, op. cit., p.40.

[107] Ibid., p.44.

[108] Phung Ton, op. cit., p.63.

[109] Ibid., p.63.

[110] Staline, Des principes du léninisme, éditions sociales, 1945, p.26.

[111] Ibid., p.98.

[112] Phung Ton, op. cit., p.39 et 57.

[113] Phung Ton, op. cit., p.99. La phrase y est écrite en français et en khmer : « La force lie un temps, l’idée enchaîne pour toujours ».

[114] Entretiens avec Mey Man, 14 juillet 2000, Mr. W., et communication de Suong Sikœun. Archives Nationales, Dossier AJ 16 8341, Relations Internationales, Cambodge : fonctionnement de la faculté de droit et de sciences économiques de Phnom Penh (1959-1963). Pour son appartenance au Parti Démocrate, voir la thèse de Phouk Chhay, p.188.

[115] Entretien avec Chau Xeng Ua, 9 janvier 1999.